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REVUE LITTÉRAIRE

L’INFLUENCE FRANÇAISE EN ALLEMAGNE [1]

En 1772, il y avait à Gœttingue un petit groupe de jeunes gens un peu fous, émus de poésie et qui s’abandonnaient à leur imagination résolument. C’étaient Voss, Bürger, Hœlty, les frères Stolberg, Leisewitz, Miller et quelques autres, plus ou moins célèbres depuis lors. Vers la fin de l’été, un soir, comme le clair de lune était particulièrement beau, ils partirent pour une promenade, au cours de laquelle il leur serait donné de communier avec l’admirable nature. Ils gagnèrent la campagne, burent du lait dans la cabane d’un paysan, puis arrivèrent à un endroit où les chênes faisaient une sorte de bosquet charmant. Ils couronnèrent de feuillage leurs chapeaux. Et ensuite, ces grands garçons, déraisonnables sans barguigner, dansèrent une ronde. Ils prirent à témoin de leur amitié la lune indifférente et les innocentes étoiles et fondèrent un cercle de camarades qui, en souvenir de cette heure enchantée, porterait le nom du Bosquet. L’année suivante, le 2 juillet, les membres du Bosquet se réunirent chez l’un d’eux, pour célébrer l’un des plus ennuyeux poètes d’Allemagne, — mais ils l’adoraient, — l’auteur de la Messiade, Frédéric-Gottlieb Klopstock. Aujourd’hui, nous avons beaucoup de peine, je crois, à nous figurer ce vif enthousiasme qu’on eut pour ce Klopstock. Un passage de Werther m’a toujours étonné, même déçu. Les deux amans sont à la fenêtre. Au loin, le tonnerre gronde ; les champs, mouillés de pluie, exhalent des parfums enivrans. Accoudée,

  1. L. Reynaud, Histoire générale de l’influence française en Allemagne (Hachette). Du même auteur, Les origines de l’influence française en Allemagne, tome Ier ; le tome II est en préparation (Champion).