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Ainsi j’écouterai ton récit, bref ou long,
Sans mêler à tes mots de bonheur ou de haine
L’écho de mon passé d’allégresse ou de peine,
Pour ne pas amoindrir, le comparant au tien,
Ton passé triste ou gai, dont ne subsiste rien, —
— Sur la grève du Temps insignifiante écume, —
Qu’un souvenir, voilé de joie ou d’amertume,
Mais qui, dans le présent, te reste cher encor,
Parce qu’il fut ta vie avant d’être la Mort.


LORSQUE LA NUIT DESCEND


Lorsque tombe le soir lentement sur la terre,
Alors j’entends la voix du silence gémir
Dans les cyprès bordant les champs pleins de mystère,
Comme un faon orphelin que la nuit fait frémir.

Le sol laisse échapper des parfums d’ombre tiède.
La détente un moment envahit les pensers.
Et le long bruit de mer sortant de la pinède
Evoque un flot obscur où les morts sont bercés.

O morts, mes morts chéris, qui reposez dans l’ombre,
Jamais je ne vous sens plus rapprochés de moi
Qu’à l’heure où le soleil descend, décline et sombre
Derrière les coteaux qui rougissent d’émoi.

Car, tout au doux rappel de ses chères tendresses,
Mon cœur, que la ténèbre enveloppe, n’est plus
Distrait aux bruits du jour, et goûte l’allégresse
De revivre à loisir les instans révolus.

Et comparant son sort à votre paix immense,
Imaginant les maux qu’il doit encor souffrir,
Il vous envie, épris de votre grand silence,
morts, d’avoir enfin mérité de mourir.