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L’ACCUEIL


Qui que tu sois : marchand ; pèlerin ; fier guerrier
Que grandit la victoire et pare le laurier ;
Artiste épris du rêve et des belles images ;
Philosophe marchant sur la trace des Sages ;
Poète qu’Apollon inspire ; paysan ;
Vieillard pour qui la vie est un fardeau pesant ;
Adolescent heureux de posséder la vie ;
Femme que l’abandon ou l’amour ont suivie :
Qui que tu sois, arrête au seuil de ma maison
Ta marche fatiguée. Entre ! C’est la saison
Où l’on aime au foyer dont la flamme pétille
Présenter ses doigts gourds, cependant que scintille,
Çà et là, sur le mur quelque rouge reflet
Et que le vent secoue en passant le volet…

Entre ! Tu trouveras sur la table l’amphore
Qu’un vin rose muscat joyeusement colore,
Et dans l’assiette creuse où fume un lait bouillant
La châtaigne et le pain de froment pur baignant.

Assieds-toi. Ne crains point les crocs aigus du dogue
Qui se ramasse et gronde, ou qui, revêche et rogue.
Evite la caresse, et, le poil hérissé,
Ne quitte pas des yeux le passant harassé.
Tout en te reposant, fais-moi tes confidences :
Gains poursuivis ; jeux où se plaît la Providence ;
Grands désirs que la Gloire a sans cesse comblés.
Beaux rêves d’art en beaux chefs-d’œuvre modelés ;
Graves enseignemens puisés à la sagesse ;
Poèmes que dicta la Muse enchanteresse ;
Labeur tenace et dur de la glèbe ou du champ ;
Désir triste et craintif du trépas approchant ;
Jeune espoir éclairant de son aube la route ;
Amante qu’un amour partagé charme toute,
Ou saignant à jamais de l’affreux abandon....