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trouve, au plus haut point, déplacée. C’est surtout de l’examen d’un texte historique qu’on peut dire avec Pascal : « Les principes sont dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde. On n’a que faire de tourner la tête ni de se faire violence. ! Il n’est question que d’avoir bonne vue, mais il faut l’avoir bonne ; car les principes sont si déliés et en si grand nombre, qu’il est presque impossible qu’il n’en échappe. Or l’omission d’un seul principe mène à l’erreur. Ainsi il faut avoir la vue bien nette pour voir tous les principes, et ensuite l’esprit juste pour ne pas raisonner faussement sur des principes connus. »

Pour garder la vue bien nette de ces nombreux principes qui « sont dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde, » est-il raisonnable de placer entre l’œil du bon sens et les documens qu’on lui demande de lire, les mailles inextricables et serrées de la méthode germanique ?


XII

A ces quelques réflexions, faut-il donner une conclusion ? Elle découle si naturellement, semble-t-il, de ce qui précède, que nous éprouvons quelque pudeur à la formuler ; aussi le ferons-nous avec une extrême brièveté.

La science française, la science allemande s’écartent toutes deux de la science idéale et parfaite, mais elles s’en écartent en deux sens opposés ; l’une possède à l’excès ce dont l’autre est maigrement pourvue ; ici, l’esprit géométrique réduit l’esprit de finesse jusqu’à l’étouffer ; là l’esprit de finesse se passe trop volontiers de l’esprit géométrique.

Pour que la science humaine, donc, se développe en sa plénitude et subsiste dans un harmonieux équilibre, il est bon qu’on voie la science française et la science allemande fleurir à côté l’une de l’autre, sans chercher à se supplanter l’une l’autre ; chacune d’elles doit comprendre qu’elle trouve en l’autre son complément indispensable.

Toujours, donc, les Français trouveront profit à méditer les œuvres des savans allemands ; ils y rencontreront soit la preuve solide de vérités qu’ils avaient découvertes et formulées avant d’en être bien assurés, soit la réfutation d’erreurs qu’une imprudente intuition leur avait fait recevoir.