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dans ce milieu de ne point définir les choses claires et entendues de tous les hommes, et prouver toutes les autres. Contre cet ordre pèchent également ceux qui entreprennent de tout définir et de tout prouver, et ceux qui négligent de le faire dans les choses qui ne sont pas évidentes d’elles-mêmes.

« C’est ce que la Géométrie enseigne parfaitement. Elle ne définit aucune de ces choses, espace, temps, mouvement, nombre, égalité, ni, les semblables qui sont en grand nombre.

« On trouvera peut-être étrange que la Géométrie ne puisse définir aucune des choses qu’elle a pour principaux objets ; car elle ne peut définir ni le mouvement, ni le nombre, ni l’espace ; et cependant ces trois choses sont celles qu’elle considère particulièrement... Mais on n’en sera pas surpris, si l’on remarque que cette admirable science ne s’attachant qu’aux choses les plus simples, cette même qualité qui les rend dignes d’être ses objets les rend incapables d’être définies ; de sorte que le manque de définition est plutôt une perfection qu’un défaut, parce qu’il ne vient pas de leur obscurité, mais au contraire de leur extrême évidence, qui est telle qu’encore qu’elle n’ait pas la conviction des démonstrations, elle en a toute la certitude. »

L’esprit exclusivement géométrique ne veut pas concéder à l’esprit de finesse le pouvoir de tirer du sens commun, où elles étaient contenues, certaines connaissances douées de cette extrême évidence qui n’a pas la conviction des démonstrations, mais qui en a toute la certitude. Il ne connaît d’autre évidence et d’autre certitude que celle des définitions et des démonstrations, en sorte qu’il en vient à rêver d’une science où toutes les propositions auraient été démontrées. Et comme il est contradictoire de tout définir et de tout démontrer, du moins veut-il réduire au plus petit nombre possible les notions non définies et les jugemens non démontrés ; les seules idées qu’il consente à recevoir sans définition, ce sont les idées de nombre entier, d’égalité, d’inégalité, d’addition entre nombres entiers ; les seules propositions qu’il veuille bien accueillir sans en exiger la démonstration, ce sont les axiomes de l’Arithmétique. Lorsque, à partir de ces quelques notions et de ces quelques principes, il a développé l’ample doctrine de l’Algèbre, il entend bien ramener toute science à n’être qu’un chapitre de cette Algèbre. Les idées d’espace, de temps, de mouvement nous