Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE
MARQUIS VISCONTI VENOSTA

La grande route qui remonte la Valteline se dirigeant vers le passage du Stelvio était parcourue dans la froide et limpide matinée d’hiver par un simple cortège. Quelques gendarmes à cheval dans leur uniforme flamboyant, des pelotons gris de la souple milice des Alpes, deux ou trois automobiles, et en plus une courte série de voitures remplies de fleurs entouraient le corbillard qui gravissait lentement les pentes abruptes. Mais, si l’escorte était fort peu nombreuse, de toutes les maisons dispersées le long de la vallée la population des montagnes sortait à la rencontre du convoi funèbre et les villages qu’il traversait regorgeaient d’une foule émue. Sur le seuil des églises et des municipalités, les drapeaux s’inclinaient comme un symbole de l’unanimité de cet hommage national. Lorsqu’on fut arrivé au coin de la vallée secondaire qui releva tout entière pendant des siècles de la grande maison féodale maîtresse et gardienne des passages des Alpes, un peuple immense arrêta les chevaux sous la longue muraille crénelée qui montre toujours les traces de l’attaque du Duc de Rohan. Cette robuste jeunesse montagnarde se relaya pour porter à bras la dépouille mortelle du descendant des anciens seigneurs de la vallée, jusque sous la voûte de la maison ancestrale et sur le parvis de la paroisse. Dans le concert des cloches des villages avoisinans qui se renvoyaient les échos multipliés de leurs dernières salutations, nous distinguions sur notre tête le son de la clochette pendue dans la chapelle du manoir. De là-haut, les Venosta du XIIe au XVIIe siècle avaient imposé leur autorité bien loin dans la