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commune, résultats de l’expérience scientifique que secondent des instrumens, théories anciennes maintenant oubliées ou rejetées, systèmes métaphysiques, croyances religieuses même y ont contribué ; leurs actions se sont croisées, leurs influences se sont mêlées d’une manière si complexe qu’il faut une grande finesse d’esprit, soutenue par une connaissance approfondie de l’histoire, pour démêler les directions essentielles de la voie qui a conduit la raison humaine à la claire aperception d’un principe de Physique.

Or, parcourons quelques-unes des leçons, d’une si savante Algèbre, où Gustav Kirchhoff a exposé les diverses doctrines de la Physique mathématique. De cette élaboration, longue et compliquée, qui a précédé l’adoption des principes, nous ne trouvons aucune trace ; chaque hypothèse est présentée ex abrupto, sous l’aspect très abstrait et très général qu’elle a pris après bien des évolutions et des transformations, sans qu’aucun mot nous en fasse soupçonner l’indispensable préparation. Un Français qui avait été, à Berlin, l’auditeur de Kirchhoff me répétait naguère la formule par laquelle le professeur allemand avait accoutumé de présenter chaque principe nouveau : « Nous pouvons et nous voulons poser... Wir können und wollen setzen... » Pourvu qu’aucune contradiction n’interdise au logicien pur la supposition que nous allons faire, nous l’imposons comme un décret de notre libre arbitre. Cet acte de volonté, ce choix du bon plaisir se substitue, pour ainsi dire, purement et simplement, à toute l’œuvre qu’au cours des âges, a dû parfaire l’esprit de finesse ; il ne laisse plus rien subsister dans la science, sinon ce qui se soumet à la rude discipline de l’esprit géométrique ; une théorie de Physique n’est plus, à partir de postulats librement formulés, qu’une suite de déductions algébriques.

Kirchhoff n’est pas seul à traiter de la sorte la Mécanique et la Physique ; ceux qui ont suivi ses leçons imitent sa méthode ; se peut-il imaginer, par exemple, algébrisme plus absolu que celui dont s’inspire Heinrich Hertz lorsqu’il prétend construire la Mécanique ? La disposition, à un instant donné, des divers corps dont se compose le système étudié est connu lorsqu’on connaît les valeurs prises par un certain nombre n de grandeurs ; de peur que l’intuition expérimentale ne vienne à nous suggérer quelque propriété de ce système mécanique, perdons