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saurait être constaté par l’esprit géométrique ; la vérité de la Géométrie, elle la fera consister exclusivement dans la rigueur du raisonnement déductif par lequel les théorèmes dérivent des axiomes ; et, pour ne pas être exposée à compromettre cette rigueur en empruntant quelque renseignement à l’expérience sensible, elle réduira la Géométrie à n’être absolument qu’un problème d’Algèbre.

Pour elle, un point, ce sera, par définition, l’ensemble de trois nombres ; qu’en un tel ensemble, les valeurs des trois nombres varient d’une manière continue, et l’on dira que le point engendre un espace ; la distance de deux points, ce sera, par définition, une certaine expression algébrique où figurent les trois nombres d’un premier ensemble et les trois nombres d’un second ensemble ; sans doute, cette expression algébrique ne sera pas prise absolument au hasard ; on la choisira de telle manière que quelques-unes de ses propriétés algébriques s’expriment par des phrases analogues à celles qui énoncent certaines propriétés géométriques attribuées par le sens commun à la distance de deux points ; mais ces propriétés, on veillera à ce qu’elles soient aussi peu nombreuses que possible, de peur que l’esprit de finesse n’y trouve prétexte à pénétrer dans le domaine de la science qu’on veut construire ; alors on développera des calculs algébriques qu’on appellera Géométrie.

Peut-être les connaissances intuitives que la raison nous fournit touchant les figures planes et les corps trouveraient-elles encore moyen de s’insinuer entre les mailles du filet déductif que tisse cette Algèbre. Contre cette intuition redoutée, une nouvelle précaution sera prise. Elle ne connaît point d’espace qui n’ait deux ou trois dimensions ; énoncer des propositions où il serait parlé d’un espace à plus de trois dimensions, ce serait prononcer des mots qui n’ont, pour elle, aucun sens. Ce sont précisément de telles propositions qu’on aura constamment soin de formuler. Ce qu’on nommera point, ce n’est pas, comme nous l’avons supposé, un ensemble de trois nombres, mais un ensemble de n nombres ; on ne fixera pas la valeur du nombre entier que représente la lettre n ; cette valeur pourra être supérieure à trois, elle pourra être aussi grande qu’on voudra ; cet ensemble de n nombres, c’est dira-t-on, un point dans un espace à n dimensions.