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domestiquées pour agrandir le continent, quand il lui plait, il les déchaine en ouvrant les écluses et rompant les digues ; les eaux, libérées de sa contrainte, envahissent alors leur ancien domaine. Maintes fois, les Flamands ont usé de ce pouvoir contre l’envahisseur, et les Allemands viennent d’en subir, sur des terrains inondés où leurs pièces lourdes s’enlizaient, une application cruelle. Ce qui se produit alors, ce n’est plus seulement, comme dans les exemples précédons, l’action à distance de phénomènes cosmiques accomplis, c’est une pénétration directe de l’histoire géologique toujours continuée dans notre histoire humaine.


Ainsi, partout où nos regards se tournent, même dans l’ordre d’idées bien matériel auquel nous venons de nous restreindre, nous voyons le présent lié au passé par une étroite chaîne. Des siècles innombrables ont façonné un pays tel qu’il est, le reconstruisant et le retouchant sans cesse, et nous avons essayé de montrer comment la lente préparation de ces âges lointains a d’avance imprimé leur direction aux événemens les plus brutaux et les plus arbitraires en apparence de l’histoire contemporaine. Sur ce terrain construit par assises superposées qu’imprègne la substance des morts, les herbes mobiles semblent vibrer confusément au vent de l’heure présente ; mais, plus bas, en tous sens et à toutes profondeurs, plongent et s’accrochent les racines mystérieuses par où leur vient la fécondité. Elémens inconnus de la prairie verdoyante, toutes ces tiges anonymes demeurent solidaires entre elles et dépendantes de la glèbe qui les a nourries comme de l’évolution à laquelle ont collaboré en la subissant leurs ancêtres. C’est à une loi éternelle de défense vitale qu’obéissent les fils de France quand ils luttent victorieusement pour protéger un sol sacré, les plaines et les monts qui en sont la chair, la civilisation des aïeux qui en est l’âme.


L. DE LAUNAY.