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Or, les axiomes d’Euclide sont-ils vraiment indépendans les uns des autres ? C’est une question qui a, de bonne heure, inquièté les géomètres. Parmi ces axiomes, il en est un, celui sur lequel repose la théorie des droites parallèles, où beaucoup ont cru reconnaître un simple corollaire des autres demandes formulées par le géomètre grec ; aussi a-t-on vu foisonner les tentatives de démonstration du postulatum d’Euclide ; mais toujours, en chacune de ces tentatives, une critique un peu perspicace a découvert un cercle vicieux.

Plus ingénieusement, la question fut prise d’un autre biais par Gauss, par Bolyai, par Lobatchewski. Ces mathématiciens s’attachèrent à dérouler la suite des propositions qu’on peut établir en admettant tous les axiomes formulés par Euclide, sauf le postulat de la théorie des parallèles ; si, pensaient-ils, il est permis de poursuivre à l’infini la série des conséquences de ces axiomes-là, sans supposer la vérité du litigieux postulat et sans jamais, cependant, achopper à une contradiction, c’est donc que l’adoption de ces principes ne requiert pas, d’une manière nécessaire, la vérité de celui qui porte la théorie des parallèles. Henri Poincaré a montré tout le bien fondé de cette pensée conçue par Gauss, par Bolyai et par Lobatchewski ; il a fait voir que si la Géométrie non-euclidienne construite par ces mathématiciens pouvait jamais aboutir à deux propositions contradictoires entre elles, c’est que la Géométrie euclidienne, elle aussi, fournirait deux théorèmes incompatibles.

Reconnaître si tous les axiomes d’Euclide sont vraiment indépendans les uns des autres, c’est une question qui ressortissait à l’esprit géométrique ; et avec Gauss, Bolyai, Lobatchewski, avec leurs successeurs, l’esprit géométrique l’a pleinement résolue. Mais décider si le postulatum d’Euclide est véritable, c’est une question à laquelle l’esprit géométrique, abandonné à lui-même, ne saurait donner de réponse : il lui faut, ici, le secours de l’esprit de finesse.

La vérité de la Géométrie ne consiste pas simplement dans l’indépendance absolue des axiomes les uns à l’égard des autres, dans la rigueur impeccable avec laquelle les théorèmes se déduisent des axiomes ; elle consiste aussi et surtout dans l’accord entre les propositions qui forment cette chaîne logique et les connaissances données à notre raison, touchant l’espace et les figures qu’on y peut tracer, par cette longue expérience