Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/665

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rigueur. Le mot : enchaînement vient aux lèvres aussitôt qu’on veut définir l’ordre dans lequel se succèdent ses syllogismes ; à ses raisonnemens, en effet, la chaîne qui les relie ne laisse aucune liberté.

Si l’esprit géométrique doit à la rigueur de sa démarche toute la force de ses déductions, la pénétration de l’esprit de finesse tient tout entière à la souplesse prime-sautière avec laquelle il se meut. Aucun précepte immuable ne détermine le chemin que suivront ses libres tentatives. Tantôt on le voit, d’un bond audacieux, franchir l’abîme qui sépare deux propositions. Tantôt il se glisse et s’insinue entre les objections multiples qui défendent l’abord d’une vérité. Non qu’il procède sans ordre ; mais l’ordre qu’il suit, il se le prescrit à lui-même ; il le modifie sans cesse au gré des circonstances et des occasions, en sorte qu’aucune définition précise n’en saurait fixer les sinuosités et les sauts imprévus.

La démarche de l’esprit géométrique évoque l’idée d’une armée qui défile pour une revue ; les régimens divers sont alignés avec une impeccable régularité ; chaque homme tient exactement le rang que lui attribue une consigne sévère ; il s’y sent maintenu par une discipline de fer.

Le progrès de l’esprit de finesse rappelle plutôt celui de tirailleurs lancés à l’assaut d’une position difficile ; tantôt il a la soudaineté d’un bond, tantôt il se glisse en rampant parmi les obstacles qui hérissent la pente ; là aussi, chaque soldat obéit à un ordre ; mais de cet ordre, rien n’est explicitement formulé, si ce n’est le but à conquérir ; la libre interprétation qu’en donne chacun des assaillans doit, de la façon qui lui paraît la plus favorable, faire tendre les mouvemens divers à la fin prescrite.

Cette comparaison entre l’allure de l’esprit de finesse et l’allure de l’esprit géométrique ne nous laisse-t-elle pas déjà deviner le caractère propre de la science allemande, celui qui la distinguera, en particulier, de la science française ? La science sera sans doute, chez le plus grand nombre des Français qui la cultivent, marquée par un usage excessif de l’esprit de finesse ; non content du rôle qui lui est dévolu, impatient des pesantes lenteurs de l’esprit géométrique, l’esprit de finesse empiétera, parfois, sur les attributions de ce dernier. Sans doute aussi devons-nous nous attendre à voir la science allemande manquer