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comme à l’ordinaire, les dîners s’achevaient et bientôt les lumières s’estompaient en veilleuses. Ce n’était pas le jour de se fatiguer, si l’on voulait venir à la messe de minuit.

Si on voulait y venir ? Je ne crois pas, en vérité, qu’un seul y ait manqué, de ceux qui en obtinrent la permission, et elle ne fut refusée qu’aux malades pour qui c’eût été réelle imprudence. Avec eux y assista, presque au complet, le personnel de tous les services, depuis l’officier du jour, exprès revenu de Paris, jusqu’aux femmes de ménage, pourtant obligées de travailler le matin dès six heures. Il n’y avait, parmi les infirmiers et les infirmières, d’autres absences que celles qu’imposait le soin des alités. Dans la chapelle, dans les galeries, il ne restait pas une seule place vide. Je ne dis point que tous étaient venus dans une même pensée de religion ; beaucoup n’appartenaient pas au catholicisme, et quelques-uns peut-être n’avaient pas la foi. Mais tous observèrent un recueillement parfait, et, s’il faut en croire ce qui fut répété de tous côtés le lendemain, personne n’en sortit sans un sentiment de profonde émotion.

La chapelle était tout ornée de guirlandes et de branchages. De sobres luminaires éclairaient, sur l’autel, un fond de plantes grasses qu’animaient aussi quelques lilas blancs et des boules de neige. Un palmier magnifique encadrait de ses rameaux le tabernacle et le crucifix même. Plus haut encore, sur le mur du fond, un faisceau de drapeaux, les alliés et l’américain, mettait sous la protection céleste notre œuvre d’ambulance.

Mais la vraie parure de notre chapelle, c’était la présence des nombreux blessés. Le pittoresque varié des costumes et la différence des races n’étaient pas, chez eux, ce qui frappait le plus, mais leurs blessures mêmes, que racontaient, en trop clair langage, les bandeaux qui ceignaient leur tête ou couvraient leurs mains, les écharpes qui soutenaient leurs bras, les béquilles où ils s’appuyaient, les fauteuils mêmes dans lesquels quelques-uns s’étaient fait amener. C’était, autour du Christ, réellement présent sur l’autel, une scène comme en admira la Galilée d’il y a dix-neuf siècles. Et, au moment de la Communion, quand, par mes mains tremblantes, il s’avança vers nombre d’entre eux, la voix mélodieuse ne se trompait pas, qui, au fond de la chapelle, chantait divinement :


 » Le ciel a visité la terre...