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suivaient de leur lit les opérations ; tous regardaient les tables se couvrir de fleurs et de jolis bibelots, les lampes électriques se draper de soieries multicolores. Chaque fenêtre même, dans chaque corridor, recevait sa part de branches vertes, et l’on ne saura jamais la longueur totale de nos corridors ni le nombre exact de nos fenêtres. Partout se dressaient les drapeaux des nations alliées et celui des Etats-Unis ; il s’en clouait de grands au-dessus des portes et le long des murs ; il s’en piquait de petits jusque dans les boîtes de remèdes et dans le bouchon des litres d’eau stérilisée.

Un dernier effort après le pansement du matin, et tout était en ordre, le 24 décembre à l’heure du déjeuner. Ce ne fut pourtant qu’à trois heures de l’après-midi que commença, dans la grande lingerie, la cérémonie de l’arbre de Noël. Un sapin resplendissant de petites lumières occupait, comme de juste, le centre de la pièce, et à côté se tenait un majestueux père Noël à barbe chenue dans son costume traditionnel de pourpre et d’hermine. Tous nos blessés capables de marcher, la moitié peut-être, passèrent devant lui et reçurent à leur tour un présent de ses mains. La plupart d’entre nous assistaient à ce défilé ; et d’abord il nous plut, il nous égaya même, par le contentement que donnaient les cadeaux, mais peu à peu nous nous sentîmes envahis d’autres sentimens, à voir cette longue théorie de mutilés, et je demeurais presque seul, ayant voulu serrer toutes les mains, quand le deux-centième passa à son tour en sautillant sur ses béquilles.

Ceux qui restaient dans leurs lits offraient réellement, quoique plus malades, un spectacle moins triste, n’étalant pas leur infirmité. Le père Noël se garda de les oublier : il passa dans chaque salle, il s’arrêta auprès de chaque lit, accompagné d’un chœur d’infirmières qui ne cessaient de chanter de beaux hymnes, cantiques français, Christmas carrols de l’Angleterre et de l’Amérique. J’aimais surtout le Come, ye faithful, adapté mot à mot et note pour note, comme s’y prête bien l’anglais, à notre magnifique prose d’Adeste Fideles. Vers les quatre heures, un concert fut donné, partie dans une grande salle, partie dans l’angle de deux corridors, afin d’arriver au plus de monde possible. Une cantatrice de talent y fit entendre un morceau touchant de la Vivandière, un autre de Carmen, et la Marseillaise.

Puis tout rentra dans le silence et l’ordre. A six heures,