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retrouvé aussi son vrai nom, qui est Fend-l’Air. Admiré de tous, resplendissant et heureux, Fend-l’Air ne quitte pas plus d’une minute par jour le chevet de son rescapé. Tous les deux vont à merveille. Dans quelque temps, ils rejoindront le front pour être ensemble, avec le même cœur qu’auparavant, de vaillans Tue-Boches. »

Ces derniers traits, pour être tout à fait exacts, demandent quelques petites retouches. Il est bien vrai que Fend-l’Air est admiré de tous et soigné comme le chien d’un roi, mais non pas qu’il soit complètement heureux ni qu’il passe tout son temps auprès de son maître. Il n’est pas vrai, non plus, que celui-ci soit déjà guéri, ni qu’avec un pied amputé il soit question pour lui de repartir au front. Fend-l’Air a bien le sentiment de tout cela ; et, dans la courte visite qu’il est admis à faire chaque matin, il sait parfaitement, après un tendre et discret bonjour, se tenir très sage en bas du lit, les yeux fixés sur son malade.


27 décembre.

Notre fête de Noël s’est, à tous points de vue, passée admirablement, et j’aurais voulu en noter plus tôt l’impression. Mais, le soir de la fête, je tombais de sommeil ; et hier nous avons reçu quinze blessés grièvement atteints.

Compatir aux souffrances de ces nouveaux venus n’a pas exigé de nous, même en ce lendemain de fête, un grand retournement. Il n’avait été que trop facile de garder à nos réjouissances un ton grave et mélancolique. Elles auront eu leur charme, pourtant ; et je crois que dans plus d’une âme elles laisseront de beaux souvenirs. Lorsque plus tard, au bord des lacs d’Ecosse ou d’Irlande, sur la lande bretonne, aux montagnes d’Auvergne, dans les déserts d’Afrique, nos hôtes penseront à la guerre géante où ils faillirent être tués, une douce apparition traversera, dans leur mémoire, cette phase terrible de leur existence, et ce sera, — comme en un rêve de lumière, d’harmonie et de fleurs, — la Noël célébrée à l’ambulance américaine.

Les préparatifs déjà offrirent leur intérêt. Tandis que les nurses suspendaient au plafond de belles touffes de gui ou attachaient aux espagnolettes de gros bouquets de houx liés d’un ruban rouge, nos soldats les moins invalides se plaisaient à leur tendre la verdure ou à tenir l’échelle, et les plus malades