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se mit à gratter de son mieux tout autour de moi, et ensuite à me caresser, à lécher mes plaies. J’avais le bas de la jambe droite arraché, la gauche atteinte au mollet, un éclat de bombe dans la fesse, deux doigts de coupés, le bras gauche brûlé. Je me traînai en saignant jusqu’à la tranchée, où j’attendis une heure les brancardiers. Ils me menèrent au poste de secours de Rocquelincourt où l’on enleva mon pied avec sa chaussure ; il ne tenait plus que par un nerf. De là je fus emporté sur un brancard à Anzin, puis en voiture à un autre poste de secours, où l’on me recoupa encore, puis à l’ambulance de Houvin-Hauvigneul, où je restai cinq à six jours. Un train sanitaire m’emmena ensuite à Aubervilliers, d’où je suis venu ici. Mon chien avait assisté au premier pansement. Une heure après mon départ, il s’échappa et vint me retrouver à Anzin. On me le laissa à l’ambulance et dans le train sanitaire. »

A la gare d’Aubervilliers, il fallut se séparer. Voyant combien était grave l’état du pauvre zouave, le major ordonna de l’évacuer chez nous : « Mon chien avec moi ? » demanda le blessé, et il conta leur histoire. Tout attendri qu’il fût, le major ne pouvait prendre sur lui d’envoyer un chien à l’hôpital militaire, « Mais que va-t-il devenir ? Et où le retrouver plus tard ? » La directrice de la cantine promit de le garder et d’en prendre soin. « Merci, madame. Seulement, tenez-le bien, sans quoi il se crèverait plutôt que de ne pas suivre l’auto de l’ambulance. » Ce ne fut pas sans peine, en effet, qu’après les adieux des deux amis, on put garder celui qui restait. Plus d’une infirmière en versa des larmes.

Un témoin raconte : « Solidement attaché dans le fourgon de la cantine, comblé de friandises auxquelles il ne touchait point, et d’attentions qui le laissaient insensible, il resta là deux jours. Ayant oublié de demander son nom, on l’appelait ingénieusement Tue-Boches... « Mon petit Tue-Boches ! Gentil Tue-Boches, mange ta soupe. Ton maître va bien ! Tu vas le revoir ! Voilà du sucre... » Mais Tue-Boches restait muet, refusant tout, triste à mourir... Toute la cantine en était angoissée ! On n’y put tenir : « Viens, Tue-Boches, dit la directrice ; nous allons essayer de te rendre à ton ami. » Et on alla à l’Ambulance américaine eet en raconta le sauvetage du zouave ; et le chien, dûment bichonné et passé à l’antisepsie la plus raffinée, fut admis à l’hôpital où il retrouva son maître et son appétit. Il a