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au soin des blessés. Il travaille volontiers aux convois des gares ; mais sa joie d’âme est bien plus grande, quand vient son tour de faire le transport entre le champ de bataille et les hôpitaux rapprochés du front. Le péril ajoute son charme à celui du service rendu. Ces jours derniers encore, vingt braves jeunes hommes comme celui-ci sont arrivés d’outre-mer pour entrer dans notre ambulance. On comprend qu’avec cela, nous puissions avoir jusqu’à quatre-vingt-trois voitures, dont quinze à Neuilly et soixante-huit sur le front [1]. J’aime cette façon américaine de pratiquer la neutralité ; elle prouve la sincérité de ce qu’on dit Ik-bas : « Nous sommes tellement neutres que peu nous importe de savoir la nation qui battra l’Allemagne. »

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2 décembre.

Un soldat m’a bien étonné en me disant que, dans la tranchée, on commençait à faire du feu : « Mais la fumée, objecté-je ? — Oh ! elle n’est pas très forte. On prend des précautions. Un peu de paille et de petit bois ; ensuite de grosses bûches. » J’ai oublié de le lui demander ; mais, évidemment, la position de cette tranchée doit être fort particulière ou assez éloignée de l’ennemi. Dans toutes les autres dont j’entends parler, on souffre du froid. Ou en souffre aussi, et même davantage, en dehors des tranchées. J’ai trouvé tout à l’heure pour la première fois un patient qui avait un pied gelé. « Que voulez-vous ? me dit-il, il faut, quand on est de faction, passer des heures la nuit sans remuer. Impossible même de piétiner ; la moindre agitation vous ferait tirer dessus. Je suis resté comme cela les pieds dans la neige. Il n’y en a qu’un de gelé, mais je souffre autant de l’autre, qui ne se réchauffe pas ; on le tient dans la ouate. Pour celui qui est gelé, les doigts sont comme morts. »

Je m’étonne qu’on n’ait pas l’idée de procurer à nos soldats quelques paires de sabots, ou des galoches assez grandes pour qu’ils puissent les mettre sans quitter leurs souliers. Tout au moins en devrait-on donner à ceux qui passent ainsi la nuit immobiles dehors.


3 décembre.

Je tiens à mon idée au sujet des galoches. Je l’ai soumise

  1. Au milieu de janvier, nos voitures atteignent le chiffre de cent trois.