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« Commandant la compagnie de tête d’une colonne d’assaut, le 27 octobre, a entraîné ses hommes sous un feu meurtrier avec la plus grande bravoure. Tombé frappé de deux blessures, continuait à exciter ses hommes par ses paroles ardentes et par ses gestes. » Son capitaine, qui lui transmet la nouvelle, y ajoute d’affectueuses félicitations et ce vœu délicat : « Ce sera, je pense, un baume sur votre cruelle blessure. »

La croix a été remise, avec la formule ordinaire, par un autre blessé, un commandant décoré lui-même de 1870, du Tonkin et de la Tunisie. « Tant d’autres l’ont mieux méritée, » murmurait le jeune lieutenant, rouge d’émotion. Ce qui acheva de le troubler, fut que le commandant, l’ayant embrassé, ajouta que « l’accolade de ces dames allait confirmer la sienne. » Après une jolie minute d’embarras, la femme d’un autre officier, soigné dans cette salle, prit l’initiative du mouvement, et la cérémonie s’acheva avec autant de grâce que de dignité. Les infirmières étaient juste d’âge à avoir leur premier fils à l’armée. Elles avaient apporté un bouquet splendide et les autres blessés offraient la croix même. De crainte qu’on ne l’eût pas à temps, l’infirmier, comte de la S..., un commandant en retraite, avait préparé la sienne, qu’il avait gagnée jadis en Afrique.

Dans la même salle que notre nouveau chevalier, et très lié avec lui, se trouve un jeune lieutenant de réserve, que j’ai eu grande joie d’accueillir ici, L. de T..., un des écrivains qui ont le mieux parlé des choses d’Amérique et qui, sans la guerre, serait actuellement à San Francisco (pauvre Exposition I). Pour avoir étudié des sujets semblables, nous nous étions quelquefois écrit ; voilà une rare occasion de faire connaissance. Je m’en félicite sans scrupule, car sa blessure, pour douloureuse qu’elle soit, ne l’empêchera de reprendre ni l’épée ni la plume. Et puis, les officiers n’aiment pas qu’on les plaigne. Il y a des soldats, même très barbus et chefs de famille, qu’on peut dorloter comme de grands enfans ; un officier, lui, si on l’entretient de ses blessures, ne demande qu’à changer de sujet. Il peut lui arriver, quoique assez rarement, de perdre l’entrain et le sourire, mais ce ne sera jamais à l’heure cruelle du pansement. La douleur moyenne le trouve toujours calme ; quand elle se fait trop vive et qu’il ne peut se taire, alors il plaisante.

C’est une fierté, vraiment, que de serrer la main à de tels hommes. Depuis trois mois que je les fréquente, je n’en ai vu