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d’Ona Couami, de Kodé Kamara... Mais je n’aime pas à me vanter.


16 novembre.

Hier soir nous fut annoncé un grand convoi d’Anglais. Il en arrivait quatre cents à la gare du Nord, dont une quarantaine pour nous. Tous nos autos y allèrent, et l’on en mobilisa plusieurs autres. En fait, nous ne reçûmes que huit blessés, frappés la veille auprès de Dixmude, et tous remplis d’entrain. Comme nous, du reste, nos Alliés déploient à, défendre l’Yser, c’est-à-dire la route de Calais, un courage fantastique. Il nous en coûte, à tous, chaque jour et depuis des semaines, un nombre de tués et de blessés qui aurait suffi jadis à illustrer une bataille. Anglais, Belges, Français, loin d’en être abattus, se réjouissent de ce que les Allemands perdent encore bien plus de monde et ne passent pas. Or, cette vaillance n’est pas de l’exaltation ; elle subsiste après la bataille. Ce matin, un Irlandais de ce nouveau groupe demande à se confesser. Quand je le revois l’après-midi : « Père, j’ai perdu ma jambe, » me dit-il du ton le plus normal. On a dû, en effet, l’amputer sans retard. Un peu saisi malgré moi, je le regarde tendrement et je lui dis quelques bonnes paroles. Tout de suite, il me répond : « J’accepte la volonté de Dieu. » Et son visage ne trahit aucune émotion ; seulement un peu plus pâle, à cause du sang perdu.


18 novembre.

Louis Schoeny, l’artilleur qui avait reçu la médaille, il y a juste huit jours, jouit maintenant, au ciel, de récompenses plus hautes et plus durables. Il s’est éteint cette nuit, aussi brave devant la mort lente de l’hôpital que sous le feu des ennemis.

Dans cette maison où le tragique lui-même, devenu état normal, cesse d’éveiller l’attention, tous s’intéressaient à Schoeny en particulier, et sa mort est un deuil public. Ce sont les faits de ce genre qui peu à peu créent entre nous, malgré notre grand nombre, une sorte d’âme commune et plus d’intimité. Quelques-uns disent, pensant à ce qu’a souffert Schoeny depuis son entrée : « Mieux eût valu pour lui, puisqu’il devait en arriver là, mourir tout de suite sur le champ de bataille. » J’essaie de répondre que d’avoir accru pour jamais sa valeur, son mérite moral, ce n’est pas perte de temps pour une âme