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une défiance manifeste. Mais il réclama opiniâtrement : « Champagne ! Thé ! » les seuls mots qu’il connût, avec trois ou quatre termes grossiers que les colons feraient bien de garder pour eux. Il entrait, à toute résistance, en des colères folles.

En vue de l’apprivoiser, on amena près de lui un autre Soudanais. Il voulut le mordre. Pensant que c’était peut-être un représentant de tribu ennemie, on essaya d’une seconde expérience et on le transporta dans une salle où se trouvait un nègre modèle, le bon et grave Maciga, de Boubou Keita, aux environs de Bafoulabé. Ce fut pour notre petit sauvage le commencement du salut. Maciga, qui était, du reste, caporal, sut lui en imposer, lui faire entendre peu à peu raison, et, la douce fermeté des nurses y aidant, l’amener en quelques jours à une réelle docilité.

Les progrès, depuis lors, ont été rapides, et il n’y a pas maintenant de plus gentil malade que Mouça. Bien loin de vouloir vous mordre quand vous l’approchez, il est le premier à vous dire bonjour et à demander : « Ça va ? » Il reste couché à la façon européenne, et c’est même un charmant tableau que forme sa tranquille figure noire entre les draps blancs et la chéchia rouge. Depuis qu’il va mieux, il sifflote la charge, il mange des bonbons, il regarde des images, il palabre avec Maciga, il apprend à faire du tricot.

Mouça reçoit des visites. Je ne parle pas de l’intérêt qu’il éveille chez tous ceux qui entrent dans sa salle pour remplir une fonction ou pour voir d’autres blessés ; non, Mouça reçoit des visites personnelles d’amis, de compatriotes. Pour être sincère, mettons le singulier : Mouça reçoit la visite de Baba Konaté, nègre instruit et bien élevé, l’air d’un vrai gentleman, actuellement domestique aux Missions protestantes du boulevard Arago. Baba Konaté arrive toujours chez nous muni de tabac, de pommes, de pastilles, de châtaignes bouillies ; et cela le rend plus cher encore à nos blessés nègres. Originaire de Grand-Bassam, il peut s’entendre avec tous en parlant bambarra, qui est la langue la plus répandue de l’Afrique occidentale française, avec le woolof toutefois. C’est lui, du reste, qui me l’a dit ; car je suis bien, moi aussi, avec Baba Konaté, grâce à un excellent infirmier qui l’a découvert et m’a présenté à lui. Et par Baba Konaté, je suis devenu l’ami de Mouça Sénoco, de Maciga Kata, sans parler d’Akodou Toudé,