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qui restait du groupe, une centaine d’hommes. La nuit était venue ; nous nous demandions où était l’ennemi. Des cris se firent entendre, sans que nous pussions d’abord discerner s’ils venaient de Français ou d’Allemands. Suivit un peu de silence, puis le son du fifre, puis un chœur lent et grave ; et, dans la nuit complètement noire, cela ne manquait pas de beauté. Bientôt, à une cinquantaine de mètres, des feux s’allumèrent comme spontanément ; ils avaient dû les préparer pour nous découvrir et nous tirer dessus. Le commandant nous défendit d’en approcher.

« Nous n’étions plus qu’à 470 mètres de Sarrebourg ; mais elle était trop bien défendue pour qu’il nous fût possible d’y entrer, et nous descendîmes, avant le milieu de la nuit, vers notre point de départ, sur les bords du canal, ramassant, tout au long du chemin, des blessés de nos quatre régimens. Des brancardiers leur donnaient les premiers soins. J’en ai emporté un sur mes épaules. Nous arrivâmes au canal exténués. Après un peu de sommeil, nous reprîmes la marche en arrière, qui continua quatre ou cinq jours. Elle se fit en bon ordre, mais quand même tristement, à travers des villages vides, et notre cœur se serra en repassant la frontière où gisaient les poteaux arrachés peu avant avec tant d’enthousiasme. Mais, dès le 24, nous nous étions ressaisis, et, une fois arrêtés sur la ligne de la Mortagne, nous sûmes tenir l’ennemi en respect. Nous n’en bougeâmes plus jusqu’au 10 septembre, où l’on nous rappela dans l’Oise. Des réservistes nous remplacèrent et tinrent bon, eux aussi ; les Allemands n’ont plus avancé. Je crois même qu’à leur tour, et cette fois pour de bon, ils ont dû reculer.. Nous avons appris notre leçon. »


14 novembre.

Voici un beau progrès. Nous avons reçu ce matin à cinq heures un soldat de Vic-sur-Aisne, qui avait été blessé hier matin vers huit heures : moins d’une journée entre le moment où l’on est frappé et celui où commencent les soins, c’est, à moins d’atteinte extraordinaire, la certitude de la guérison. Trois autres sont venus en même temps, qui n’étaient tombés que de l’avant-veille. S’il en était toujours ainsi !

Notre blessé de Vie a trente-cinq ans : la territoriale commence à donner ; presque tous nos hommes sont mariés, on le