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haletante au milieu des bandages, la main elle-même du colonel vacillait un peu.


12 novembre.

...A défaut de l’avenir, c’est le passé, presque aussi obscur jusqu’ici, qui commence un peu à se révéler. Depuis la seconde semaine de septembre, ça va ; mais le mois d’août a dû être terrible et nous y avons fait de rudes écoles. Pour autant que l’on puisse faire fond sur un récit tout fragmentaire, les souvenirs d’un de nos blessés, sous-lieutenant de réserve, me donneraient à croire que nous avons montré quelque inexpérience. Je les rapporte pour ce qu’ils valent, garant de leur seule sincérité :

« J’ai reçu le baptême du feu le 20 août sur les bords du canal de Saverne. La 25e division d’infanterie était partie pour prendre Sarrebourg. La ville était fortifiée de ces gros obusiers fixés sur ciment, dont les projectiles font des trous à y enterrer deux ou trois chevaux. Mais nous n’en savions rien. Depuis Epinal, nous avancions remplis d’entrain, sans rencontrer d’obstacles. Les régimens qui nous avaient précédés avaient vu quelques Allemands ; nous, pas un. Le 20 août, ce fut différent, et je m’en souviendrai. Mon bataillon eut à tenir tout le jour, sur la cote 330, au milieu des obus. On n’essayait même pas de se retrancher ni de se cacher des aéroplanes ; aujourd’hui, l’on serait plus prudent. Certaines compagnies furent décimées à plusieurs reprises. Je vois encore mon capitaine faisant baiser le crucifix à deux ou trois hommes qui allaient mourir. Le soir, vers six heures, il fallut battre en retraite, malgré le secours de notre artillerie lourde. Comme nous venions de repasser le canal de Saverne, le général de division arrive avec son état-major. Il ordonne demi-tour. Toute la division attaque à nouveau. Nos canons et nos mitrailleuses ouvrent le feu ; quatre régimens s’élancent. Nous descendons une première pente et en remontons une seconde, sous une pluie d’obus et de balles. Quelques fantassins reculent ; nous continuons, nous, d’avancer. Arrivés à portée d’assaut, l’on nous fait tirer à notre tour, et le feu des Allemands diminue d’intensité. Ils avaient fait entendre, pour nous tromper, nos propres sonneries de : « Cessez le feu ! » Mais nous étions prévenus et distinguions bien la différence du son. Ils s’arrêtèrent de tirer, et nous après. Quand nous n’entendîmes plus rien, nous grimpâmes la côte jusqu’à la cime, et ralliâmes ce