Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/635

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vous avez des nouvelles de chez vous ? — Une lettre de ma mère. — Sait-elle qu’on vous a coupé la jambe ? — Oui. Elle remercie Dieu, comme moi, de ce que, blessé si grièvement, j’aie gardé la vie sauve.! »


10 novembre.

Cérémonie émouvante, aujourd’hui, à cinq heures.

Si accoutumé que je sois maintenant aux beaux exemples de foi et de courage, j’avais remarqué entre tous un de nos malades pour la vivacité de ses sentimens religieux et pour son calme dans les pires souffrances.

Qu’il se fût conduit parfaitement sur le champ de bataille, je n’en doutais pas ; mais j’ignorais que ce fût au point de se faire distinguer parmi tant d’autres héros. Il a mérité qu’on lui décernât la médaille militaire, et un lieutenant de tirailleurs, délégué par le ministre de la Guerre, est venu tout à l’heure la lui apporter. Maréchal des logis au 5e régiment d’artillerie de campagne, Louis Schoeny (je puis bien donner son nom, car nous n’espérons pas qu’il survive, et cette crainte trop justifiée rend encore plus impressionnante la cérémonie de ce jour), Louis Schoeny reçut, à Braisne, deux blessures très graves, dont l’une lui emporta un côté de la face et l’autre lui fractura le crâne. Il n’en eut pas moins l’énergie surhumaine de rester à son poste, moitié aveuglé par le sang, et de continuer à servir sa pièce, jusqu’à ce qu’un éclat d’obus, l’atteignant au ventre, le renversât près de l’affût.

La médaille lui a été remise par un autre vaillant, le lieutenant-colonel D.., du 53e d’artillerie, en traitement lui-même à notre ambulance pour blessures au pied et à l’épaule. Il s’est conformé, autant que les circonstances le permettaient, au cérémonial habituel. Des trompettes n’ont pu ouvrir ni fermer le ban, mais le salut militaire en a tenu lieu ; et c’était une belle assistance que celle des camarades regardant de leur lit, et de dix officiers venus des salles voisines avec leur bras en écharpe ou le pied sur une béquille. Eux tous, et avec eux les infirmiers, les infirmières, ont senti des larmes leur monter aux yeux quand, après les paroles réglementaires : « De par le Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous décernons la médaille militaire, » le blessé a demandé qu’on le soulevât pour baiser le glorieux insigne, et le recevoir avec plus de respect. En l’épinglant sur cette poitrine