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à me faire comprendre qu’il était prêtre, qu’il avait même célébré la messe deux jours avant d’être blessé. Et, joyeusement, il me tirait de son livret militaire un celebret de l’évêché de Moulins, où je lisais qu’il est vicaire à Saint-Pierre de M… Il ne peut pas communier encore, — à peine s’il parvient à boire, — mais il marche et est déjà venu à la messe ce matin. Espérons que bientôt il me servira d’auxiliaire.

Cet après-midi, j’entends l’histoire d’un réserviste du Finistère, arrivé depuis deux jours. Elle ne manque pas de tragique dans sa simplicité :

« Ma compagnie a quitté ses tranchées pour faire une attaque jeudi dernier, 29 octobre, à neuf heures du soir. Elle a dû se retirer, brisée par les mitrailleuses. Je suis resté là avec une jambe cassée et l’autre traversée d’une balle, plus une balle dans le dos. — Resté seul ? — Non ; l’on était deux ; l’autre, je crois, il est mort. J’ai passé la nuit sur place, à trois ou quatre mètres d’une tranchée vide. Le lendemain, ma compagnie revient, et je me crois sauvé. Elle échoue encore ; la moitié des camarades sont blessés ou tués ; les Allemands prennent le reste. À cause des balles et des obus, je m’étais traîné dans la tranchée vide. C’était le vendredi matin ; j’y suis resté jusqu’à dimanche soir sans rien à boire ni à manger, et je ne pouvais pas me remuer, vu l’état de ma jambe.

« C’était entre les deux lignes de feu, à environ 50 mètres de la ligne allemande et à 200 mètres de la ligne française. Ma tranchée était plus haute du côté allemand, moins haute du côté français, ce qui fait que le dimanche, on m’a aperçu. Un sergent est venu vers quatre heures : « Qu’est-ce que vous faites là ? qu’il me dit. — J’attends la mort, » que je réponds. Je ne pensais qu’à ça. Je n’avais pu faire aucun pansement ni rien ; tellement que j’avais saigné, la tranchée était pleine de sang. Le sergent est reparti et m’a envoyé chercher par deux soldats du génie, vers huit heures du soir. On a ensuite prévenu l’infirmerie de Fontenoy, qui m’a fait prendre avec un brancard. J’y ai passé deux jours à l’hôpital. Et puis le train m’a mené à Aubervilliers. »


6 novembre.

Cinq zouaves nous sont arrivés ce matin : deux ont les jambes et un le bras cassés ; le quatrième a le poumon traversé d’une balle ; le cinquième, l’épaule traversée d’une balle explosive,