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paysan breton, sans doute je prierai pour lui selon ma promesse ; mais surtout je le prierai pour moi et pour ceux que j’aime.

En le quittant, je suis venu m’agenouiller à la galerie supérieure de notre cliapelle. C’était bien là, dans le grand silence du milieu de la nuit, qu’il convenait d’achever cette fête des Morts. Mon père, ma sœur, mes grands-parens, mes amis, ceux que j’ai assistés dans leur agonie, notamment ces deux derniers mois ; ceux qui sont morts pour leur patrie, en cette guerre et dans les autres guerres : tous je les recommandais à l’indulgence infinie du Christ, du Juge et du Sauveur caché au tabernacle et dont une petite lampe, lumière symbolique parmi les ténèbres, signalait discrètement la divine présence. En face de moi, contre les grandes fenêtres de la rue, lèvent agitait des branches d’arbres, et les feuilles automnales, distinctes parce que moins touffues, frappaient aux vitres de la chapelle comme un essaim d’âmes suppliantes.


3 novembre.

Un petit rayon de soleil a traversé l’atmosphère brumeuse de ces jours. Au milieu de l’après-midi nous est arrivé un superbe envoi : « De la part de la Ville de Paris les dernières fleurs de Bagatelle. » Et dans une grande corbeille d’osier deux vieux jardiniers apportaient seize magnifiques bouquets de roses, de roses fraîchement cueillies, rayonnantes de grâce et d’éclat, de ces roses d’automne que notre vieux poète avait raison de dire plus fines, plus délicates, « plus exquises. » Par une charmante idée de M. L. C…, notre directeur du personnel d’infirmiers, il n’a été procédé au partage des bouquets par salles qu’après que les deux jardiniers eurent promené dans toutes le panier complet :

Chacun en a sa part, et tous l’ont tout entier.


5 novembre.

Le grand réconfort est toujours de s’entretenir avec les blessés. Il faut qu’ils soient bien bas pour se plaindre et perdre leur belle humeur ; encore y en a-t-il qui gardent jusqu’au bout leur entrain de soldats, leur sérénité de chrétiens.

Hier matin, c’était un adjudant dont une balle avait traversé le palais et les joues, qui m’accueillait avec plus de joie encore que les autres, et qui, maigre la difficulté de s’exprimer, arrivait