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Si la foi ne venait pas, sur tant de misères, jeter ses lueurs adoucissantes, et soulever le voile d’un au-delà meilleur, je ne sais pas comment le cœur, à moins de se durcir, y pourrait résister. Mais grâce à elle, si nous ne sommes pas, et il ne le faudrait point, exemptés de souffrir, du moins ne souffrons-nous pas, du moins ne pleurons-nous pas, comme ceux qui n’ont pas d’espérance.

Dix heures du soir. — La force du sens religieux, je l’ai constatée une fois de plus ce soir en allant revoir un soldat breton qui devait communier dimanche et qu’on m’a dit fort épuisé par suite d’hémorragies. A ma demande de nouvelles : « Cela ne va pas, répondit-il avec calme, et je sens que je vais mourir. « J’interroge la nurse ; elle ne croit pas au péril immédiat.

J’essaie donc de le rassurer : « Non, répond-il, toujours aussi tranquille, je sais bien, moi, que je vais mourir. — Et quand cela serait, vous êtes un chrétien ! — Je n’ai pas peur de la mort. » Je lui propose alors de recevoir tout de suite les sacremens de Pénitence et d’Eucharistie, qu’il avait acceptés pour dimanche prochain. « Pour qu’aucune grâce ne vous manque, nous ajouterons, entre les deux, l’Extrême-Onction, et ensuite je vous laisserai en compagnie de Notre-Seigneur. — Oui, je serai bien content. »

Son action de grâces achevée, il demanda aux infirmières de lire trois lettres que venait d’écrire sa famille. Si complaisantes que fussent nos Américaines et si versées dans la connaissance de notre langue, elles n’étaient pas accoutumées au genre d’écriture qu’il leur mit sous les yeux. Je m’offris à les remplacer et je lus de mon mieux les lettres des sœurs et celle de l’oncle. Si la grammaire n’y trouvait guère son compte, elles valaient, en noblesse de cœur, en élévation, en foi, en simplicité, les plus belles qu’on ait publiées.

Il était dix heures quand je laissai mon malade, un peu assoupi déjà, l’esprit et le cœur tout remplis de son Dieu et de sa famille, rêvant de sa place à l’église et de sa place au foyer. « A demain matin, lui avais-je dit quelques minutes plus tôt. — Je ne sais pas si j’y serai, » m’avait-il répondu. Et moi, enhardi par sa foi sereine, j’avais ajouté en souriant : « Après tout, si vous vous réveillez auprès du bon Dieu, le mal ne sera pas grand. On y est aussi bien qu’ici. » Et il m’avait répondu par un « oui » que je n’oublierai pas. S’il vient à mourir, mon bon