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notamment, ses chefs ne tardent pas à voir en elle le point d’appui d’un Archimède pour soulever hors de ses gonds tout le monde politique. »

Et M. de Bülow de citer encore la boutade d’un spirituel député (à lire M. de Bülow, on découvre que le parlementaire allemand est le plus spirituel du monde entier) : « Le défunt député de KardorfF me disait peu de temps avant sa mort : « Voyez quels fanatiques d’associations nous sommes ! En France, l’Alliance française a réuni des millions pour fonder à l’étranger des écoles françaises ; mais elle n’a jamais songé à prescrire au gouvernement les lignes directrices de sa politique. Notre Ligue pangermaniste a beaucoup fait pour stimuler le sentiment national ; mais elle se considère comme la plus haute juridiction dans les questions de politique étrangère. Notre Ligue navale a fait de grandes choses pour populariser l’idée d’une flotte ; mais elle n’a pas toujours résisté à la tentation de tracer les voies de la politique navale au gouvernement et au Reichstag… Nous nous imprégnons si fort de l’idée de notre association que nous ne voyons plus rien en dehors d’elle… Plus un but est spécial, plus vite se fonde un club allemand, et pour longtemps. Plus les fins à atteindre sont générales, plus les Allemands mettent de temps à s’unir, et plus ils sont disposés à renoncer, et rapidement, et pour des motifs insignifians, à la communauté péniblement constituée. »

Tels sont les Allemands après quinze et vingt siècles de Kultur politique, c’est-à-dire de laborieux efforts pour essayer de modeler leur sauvagerie primitive sur la civilisation gréco-romaine. Depuis quinze cents ans, depuis deux mille ans qu’ils essaient de se cultiver, ils se sont mis à l’école politique des peuples étrangers, de l’Angleterre, de la France, de l’Italie, de Rome et de la Grèce, pour suppléer par l’étude et la science au défaut congénital de la race : « Nous n’avons jamais manqué, dit M. de Bülow, de reconnaître nos singulières infirmités politiques ; nous pouvons être fiers actuellement de notre floraison de sciences politiques ; pendant que j’exerçais mes fonctions, je me suis vivement intéressé au développement de cet enseignement.) Mais il faudra longtemps avant que nous sentions les effets de cette érudition sur la pratique politique : il coulera beaucoup d’eau sous nos ponts jusqu’à ce que les faiblesses et les défauts innés de notre tempérament politique disparaissent par ce pro-