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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

religion, le fanatisme même de la res publica dans les cœurs de tous les cives romani, — et tous les hommes libres de l’Empire avaient désormais ce rang.

Sans distinction de races ni de langues maternelles, tous étaient les citoyens de la nation impériale, les participans égaux, bénéficiaires et serviteurs tout ensemble, de la communauté romaine. L’égalité devant une loi écrite, l’égalité sous le devoir civique et sous le commandement de l’État, tel était le caractère essentiel de l’Empire romain : tout homme y était l’égal de son prochain, l’homme libre de l’homme libre et l’esclave de l’esclave, et les peuples aussitôt annexés devenaient les frères et cousins du peuple romain, fratres consanguineique populi romani.

Les Allemands ont beau nous présenter leur empire actuel comme l’héritier du Saint-Empire d’autrefois et ce Saint-Empire lui-même comme le continuateur du vieil Empire romain : jamais pour eux État et nation, Empire et res publica n’ont été termes synonymes. À leur gré, deux, trois et dix nations ennemies, les unes asservies, les autres dominantes, peuvent composer un seul État et, dans le même Empire, quinze ou vingt res publicœ indépendantes peuvent conserver leur droit particulier et leurs intérêts rivaux sans les concilier sous l’arbitrage d’une loi unique, mais en les juxtaposant et les superposant sous la médiation d’une diplomatie interne.

Le Bundesrath, cette Chambre haute du nouvel Empire allemand, n’est pas un Sénat, une Chambre des Pairs comme telle assemblée des républiques ou des monarchies voisines : ce n’est toujours, comme la Diète de l’ancien Empire, qu’un Congrès permanent de diplomatie nationale, où les États participans du Bund, de « l’Alliance » impériale, maintiennent au jour le jour l’unité qu’a établie un traité en règle et qu’a souscrite, bon gré mal gré, chacun des contractans. En guerre, Guillaume II donne le même nom de Kamaraden à ses combattans d’Allemagne, d’Autriche et de Turquie. En paix, c’est le même nom de Bundgenossen (alliés) qu’il donnait à ses confédérés du dedans et à ses partenaires de la Triplice. Il n’y a jamais eu de nation allemande. L’Empire d’aujourd’hui, comme celui d’autrefois, n’est toujours qu’une coalition de peuplades, les unes germaniques, les autres étrangères, une Sainte Alliance imposée par la force aux répugnances des Allemands et aux