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Italiens parlaient d’une Université italienne à Trieste, les Slovènes réclamaient déjà la leur à Laybach. L’Autriche peut-elle d’ailleurs accepter qu’il s’établisse à Trieste un centre d’études, sans doute, mais aussi, inévitablement, de propagande politique et d’agitation séparatiste ?

Après avoir sommairement parcouru l’histoire des revendications irrédentistes dans le passé, si nous essayons de prévoir l’avenir qui leur est réservé, nous sommes ainsi obligés de constater qu’elles n’ont à espérer de la bonne volonté autrichienne aucune espèce de satisfaction.

Quant à une cession territoriale de l’Istrie et du Trentin, nous avons vu que l’Autriche s’y est refusée à l’époque du Congrès de Berlin comme à la veille de la crise de 1870, et même antérieurement, en 1866, malgré ses défaites en Bohême. L’empereur-roi peut-il se résigne : à abandonner bénévolement, sans l’avoir défendue par les armes, cette partie des domaines héréditaires de sa Maison ? Et d’ailleurs, il ne serait pas seul à en décider. Le Trentin a fait partie du Saint-Empire et de la Confédération germanique, dont le nouvel Empire d’Allemagne se considère comme le successeur et l’héritier éventuel. Le Parlement de Francfort ne proclamait-il pas jadis, dans un vote fameux, que « le peuple allemand frapperait de sa malédiction et des peines de haute trahison ceux qui compromettraient des territoires germaniques dans des négociations avec des Puissances étrangères ? » L’Allemagne unie, enivrée d’orgueil et de convoitises, ne se montrerait pas moins intransigeante.

Lorsque certains journaux annoncèrent que le prince de Bülow, se rendant à Rome, était chargé d’offrir le Trentin à l’Italie pour prix de sa neutralité, la Gazette de Cologne s’est empressée de démentir cette nouvelle dans un article officieux. Et si le Trentin devenait jamais, aux mains des empires germaniques, l’objet de quelque marchandage désespéré, on peut se demander ce que pèserait, après une victoire, le « chiffon de papier » arraché par les circonstances. En ce qui concerne Trieste, la situation est plus claire encore. Vers le Levant, la Mer-Noire, l’Egypte, le canal de Suez, les Indes et l’Extrême-Orient, cette ville est devenue le port naturel pour tout le trafic des Allemagnes : elles ne le laisseront pas volontairement échapper. Sans doute Trieste est italienne, mais les Allemands ne reconnaissent pas le droit des peuples et des nationalités ;