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comme nous l’avons vu, les Tridentini et les Triestins n’étaient pas traités par le gouvernement de Vienne avec plus d’égards, mais l’Autriche, libre désormais du côté de l’Italie, appuyée sur l’Allemagne, poursuivait, sans se soucier des intérêts italiens, son expansion par l’Adriatique vers l’Orient.

Entre les mains de l’empire austro-hongrois, Trieste devenait pour l’Europe centrale ce qu’est Hambourg pour l’Allemagne du Nord, le débouché d’une immense région industrielle, commerciale, agricole. Grâce au réseau ferré, amélioré sans cesse, qui l’unit à Vienne parle Semmering, à Munich par la ligne de la Tauern, Trieste attire à elle le commerce non seulement de l’Autriche-Hongrie, mais de la Bavière, de l’Allemagne du Sud, et de la Suisse, qui se dirigeait autrefois par le Brenner sur l’Italie. Elle ferait même concurrence, dit-on[1], par la ligne de l’Arlberg, au Gothard et au port de Gênes. Pour aller de Londres en Egypte, Trieste est aujourd’hui la voie la plus rapide et la plus confortable. Venise doit renoncer à lutter contre sa rivale. Les beaux paquebots du Lloyd ont remplacé les galères de la Sérénissime République sur la mer que l’on nommait jadis il golfo di Venezia.

« La politique que nous suivons dans l’Adriatique, dont nous nous sommes fait pour ainsi dire chasser, est-elle une politique nationale italienne[2] ? » se demandait déjà mélancoliquement le député Imbriani à la Chambre italienne le 25 mai 1896. Comme le constatait en 1901, dans ses études sur l’avenir maritime de Venise, M. Manfroni, le voyageur qui, du littoral méditerranéen de la Péninsule remonte par Tarente et Ancône la rive Adriatique, « se croirait transporté des rues populeuses d’une grande ville dans les allées sombres et désertes d’une nécropole[3]. » Même au sujet de la Méditerranée, la Triple Alliance n’apportait à l’Italie, vis-à-vis de l’Angleterre ou de la France, aucune sécurité. « Cette Triple Alliance a-t-elle vraiment protégé les intérêts de l’équilibre dans la Méditerranée ? Quelles sont pour l’avenir les garanties que la Triplice nous donne en ce qui concerne cette mer où réside l’existence même

  1. Strini, l’Arlberg e il porto di Genova. — Loiseau, l’Équilibre Adriatique, p. 100.
  2. « Vi pare forse… che la politica che seguiamo nell Adriatico dove si lasciamo conculcare giornalmente e donde ci siamo fatti quasi cacciare, sia una politica nazionale italiana ? »
  3. Cité par Loiseau, loc. cit., p. 86.