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« Le seul ambassadeur, écrit Rafaële Cappelli, auquel M. de Bismarck ne rendit pas visite fut le nôtre. Il y avait pis : le comte Andrassy, causant avec le prince, lui avait dit que l’Autriche, incommodée par l’agitation irrédentiste, pourrait bien finir par déclarer la guerre à l’Italie. Il demandait si, dans ce cas, l’Allemagne s’opposerait à ce que l’Autriche reprît possession d’une partie des provinces perdues en 1859 et en 4866. M. de Bismarck avait hésité un instant, puis répondu : Non, nous n’y mettrons pas d’obstacles, l’Italie n’est pas de nos amis [1]. »

Le prince s’exprimait en des termes analogues devant l’ambassadeur de la République française, envers lequel il se montrait particulièrement aimable. L’ambassadeur lui ayant demandé s’il avait envisagé dans ses entretiens avec les ministres de François-Joseph l’éventualité d’une attaque de l’Autriche par l’Italie, voici, telle qu’elle est rapportée dans les souvenirs de M. de Chaudordy, la méprisante réponse que fit M. de Bismarck : « Si l’Italie était une puissance militaire redoutable, nous aurions eu peut-être à nous en préoccuper, mais j’aurais craint de blesser l’Autriche en lui offrant une protection contre une agression de son voisin subalpin. »

Les rapports entre l’Italie et l’empire austro-hongrois devenaient de plus en plus tendus. Cependant, les manifestations irrédentistes continuaient. Aux funérailles du général Avezzana, député, président de la Ligue l’Italia irredenta, des bannières de Trente et de Trieste, avec des inscriptions hostiles à l’Autriche furent arborées ; l’irritation s’accrut à Vienne. Le gouvernement austro-hongrois massait de nouvelles troupes à la frontière italienne, et, interrogé, son ambassadeur se bornait à répondre : « L’Autriche prend ses précautions contre toutes les éventualités possibles. » Les journaux officieux de Vienne représentaient les premières manœuvres qui venaient d’avoir lieu dans le Tyrol comme « un avertissement. »

Ainsi l’Italie, isolée en Europe, — les relations avec le gouvernement français étaient alors peu cordiales, — se sentait exposée par l’agitation irrédentiste aux représailles autrichiennes. Le moment était venu où, la situation ne pouvant se prolonger, il fallait choisir entre des rapports corrects avec l’empire voisin ou l’hostilité déclarée. Au printemps de 1880,

  1. La Politica estera del conte di Robilant, par le marquis Rafaële Cappelli, ancien secrétaire de M. de Robilant. Rome, 1897.