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la prochaine guerre serait très courte en raison de ses dépenses excessives en vivres et en munitions ; que les belligérans seraient bientôt affamés par la suppression de toute industrie nationale ; que la guerre ne pourrait même plus avoir lieu, parce qu’elle serait trop épouvantable...

Or, il est arrivé, au contraire, que l’énormité même des masses remuées, créant des besoins disproportionnés avec les ressources, suivant l’éternelle tendance des hommes, a ramené les belligérans aux procédés des guerres les plus primitives, dont les deux ou trois derniers siècles avaient paru davantage s’écarter. On a vu les fantassins revenir aux terrassemens des Romains, recommencer des guerres de mines et de contre-mines, s’approcher assez près les uns des autres pour s’invectiver ou plaisanter ensemble comme des héros d’Homère, monter avec leurs mitrailleuses dans les arbres, multiplier à la façon des Peaux-Rouges les attaques de nuit, les embuscades et les surprises dans les bois, en rampant silencieusement pour s’élancer d’un bond soudain, mettre en œuvre tous les subterfuges, imiter les sonneries, revêtir les uniformes de l’adversaire, construire de vains épouvantails, se couvrir de branchages comme les soldats en marche contre Macbeth, découper des plaques de tôle pour s’en faire des boucliers, réinventer la grenade à main et la catapulte... On s’est battu presque aussi longtemps que devant un mur de Troie pour emporter une tranchée ou une carrière du Soissonnais. La prise d’un pont sur un canal de Flandre a donné lieu à des combats où sont tombés des milliers et des milliers d’hommes. Dans ces conditions, avec une guerre qui, pendant près de trois mois, s’est immobilisée sur le même front, le moindre incident local a repris toute son importance de jadis. Combien de vies humaines n’auraient pas été épargnées, si l’érosion quaternaire avait achevé d’enlever les mamelons de Brimont et de Nogent-l’Abbesse près de Reims, si elle avait adouci les pentes des coteaux de l’Aisne, de Vailly ou d’Heurtebise !...

Et, par une application frappante de la loi précédemment énoncée, il se trouve en définitive que le front de bataille de Guillaume II présente depuis trois mois la plus étonnante coïncidence avec celui que, quinze siècles plus tôt, avaient occupé les bandes farouches d’Attila. Le rapprochement entre les deux fléaux de Dieu venus de Germanie est venu à l’esprit de tous.