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moyen de se fier à cet homme-là ! — écrit-il par exemple. — Il risque à chaque instant de se laisser aller à de fâcheuses idées de générosité intempestive. Avec cela, une politique impossible à prévoir : car souvent l’empereur Alexandre se dirige d’après ses penchans personnels, et souvent aussi d’après de siens projets dont il ne s’ouvre à personne. » Et quant au personnage qui incarne à ses yeux l’Angleterre, le duc de Wellington, celui-là devient proprement pour lui le grand ennemi, à peine moins redouté et haï que Napoléon.

Son hostilité implacable à l’égard du général anglais commence à s’exhaler dès le lendemain de Waterloo, où ce chef prussien qui, lui-même, a été honteusement vaincu l’avant-veille à Ligny, prétend que Wellington n’a pas joué le rôle décisif dont il se fait gloire. Depuis lors, pas un jour ne se passera sans que Gneisenau renforce ses griefs contre son illustre rival. Ce dernier s’avise-t-il, par exemple, de déclarer que les alliés peuvent épargner la vie de Napoléon, qui désormais n’offre plus pour eux aucun danger, sur-le-champ Gneisenau excite Blücher à protester violemment contre une opinion aussi scandaleuse. « Lorsque le duc de Wellington, — écrit-il à ce propos, — se proclame opposé à la mise à mort de Bonaparte, il pense et agit en parfait Anglais. Le fait est que jamais aucun homme n’a été de plus de profit pour l’Angleterre que l’a été ce misérable. C’est par lui que la fortune de l’Angleterre s’est accrue infiniment, c’est à lui que l’Angleterre doit sa suprématie maritime et commerciale. Mais il en va tout autrement pour notre pays. Nous, Prussiens, c’est ce Bonaparte qui nous a ruinés. Et ne devons-nous pas nous regarder comme les agens de la Providence, qui, peut-être, ne nous a accordé une telle victoire qu’afin de nous appeler à exercer ce grand acte de justice éternelle ?... Tout cela n’est que pur étalage de magnanimité théâtrale ! »

Plus tard encore, j’ai l’idée que l’empressement apporté par Gneisenau à exiger contre nous des représailles d’ordre simplement « moral, » comme la destruction à Paris de tous les souvenirs de notre grandeur napoléonienne, lui aura été suggéré bien moins par un sentiment de haine personnelle et désintéressée, de l’espèce de celle qui allumait le sang du vieux Blücher, que par un désir de contrarier la « magnanimité » de Wellington ou du tsar Alexandre. En réalité, Gneisenau n’avait d’autre passion que celle d’utiliser son nouveau séjour à Paris pour obtenir des Alliés la promesse d’un accroissement des limites de la Prusse.

« Il n’y a pas dans l’histoire une bataille plus décisive que celle de