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champs de bataille éternels. On s’est toujours battu et on se battra encore sans doute longtemps encore sur les mêmes points où la charrue pourrait retrouver, avec les crânes épais des préhistoriques, les glaives rouilles des Romains. La topographie l’exige, nécessitée elle-même et complétée par les lois antérieures de la géologie. Telles sont : la grande route des invasions asiatiques par la vallée du Danube ; les voies de pénétration autour du noyau bohémien par Cracovie et Vienne ou par Ratisbonne et Passau ; l’antique voie egnatienne entre l’Orient et l’Occident avec son étape de Philippes ; la plaine de Pharsale ; la frontière franco-allemande aux trouées de Belfort, de Lunéville, de Sarrebourg et de Sarreguemines ; le golfe de Luxembourg avec son débouché sur l’Argonne ; le Hainaut et la Flandre sur l’autre bord de l’Ardenne ; les détroits de Poitiers et de Dijon entre le nord et le midi de la France sur les deux flancs du Plateau Central, etc. Tels sont plus généralement tous les seuils déprimés entre deux bassins fluviaux ou mieux entre deux océans, toutes les voies permettant de contourner un grand obstacle naturel, tous les débouchés des cols ou des vallées sur la plaine.

Mais on aurait pu se demander si les temps modernes, avec leurs engins infiniment plus perfectionnés, n’échapperaient pas à ces nécessités qui se sont imposées aux anciens hommes. La science travaille chaque jour à nous affranchir des forces naturelles, et il faut bien reconnaître que toutes les énergies de cette science, toutes les forces de la « culture » viennent d’abord converger vers les meurtres et les destructions de la guerre. Or, que devient le relief, quand il est si facile de le franchir par des voies ferrées et par des automobiles, quand les aéroplanes le surplombent, quand le tir indirect des pièces lourdes envoie ses obus à 10 ou 12 kilomètres par-dessus côtes et vallées vers un but qu’il n’est même plus nécessaire de voir ? Que signifient les distances avec la télégraphie sans fil et le téléphone ? Qu’importent les cultures locales aux ravitaillemens, quand on peut amener ses vivres sur le front dans les autobus de toute une capitale ? Et quel besoin a-t-on encore de nombreuses routes pour manœuvrer une armée quand, sur n’importe quelles voies sans chemins de fer, on est en mesure, à un moment donné, de lancer plusieurs centaines de mille hommes dans 70 000 automobiles ? Ainsi des prophètes avaient annoncé également que