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sa mise à la retraite. Tantôt il demande un emploi dans les postes, tantôt la faculté d’aller s’emplir les yeux des chefs-d’œuvre de l’art italien : et l’on entend bien que, chaque fois, son véritable désir est d’être mieux payé, ou de passer « par-dessus la tête » de tel de ses collègues.


Mais, avec tout cela, il n’est pas douteux que le vigoureux esprit de cet « intellectuel, » à défaut de son cœur, ait été l’un des instrumens principaux de la chulo finale de Napoléon. À chacun des « tournans » de la campagne de deux années que va terminer la première entrée des troupes prussiennes à Paris, c’est toujours la voix de Gnoisenau que nous entendons s’élever par-dessus toutes les autres, infatigable à exiger la « très active poursuite » des vaincus de Leipzig. Le 11 novembre 1813, de Francfort, il proteste furieusement contre l’hésitation que mettent les Alliés à traverser le Rhin ; et puis, dès qu’il a obtenu le passage du fleuve, tous les jours il va insister pour que l’on se hâte d’envahir Paris. « Je tremble de pour que l’on se laisse émouvoir des propositions de paix de Napoléon, — écrit-il de Nancy au ministre Stein. — À Paris seulement nous pourrons dicter la paix telle que la réclame la sécurité des peuples. Que si nous manquions à profiter de ce moment, nous ne mériterions pas d’en vivre un second semblable… Et puis nous avons tant de comptes à régler avec la France ! » Sans cesse, désormais, les lettres de Gneisenau vont répéter obstinément le même refrain. « C’est à Paris que se trouvent centralisées toutes les forces vives de l’ennemi, — écrira-t-il à Stein quelques jours plus tard. — S’emparer de la capitale de la France, cela signifie plus encore que de prendre possession de Vienne ou de Berlin. En mettant la main sur Paris, nous paralysons tous les nerfs de l’ennemi, nous nous assurons le moyen de nous venger de tant de souffrances et d’humiliations trop longtemps subies ! »

Tout son programme se résume dans cette marche forcée sur Paris ; et, lorsqu’enfin son désir est réalisé, c’est à ce moment surtout que nous apparaît, dans son plein relief, la différence qui sépare l’ « intellectuel » allemand des autres collègues ou assistans de Blücher. Car, tandis que ceux-ci, depuis deux ans, n’ont combattu Napoléon qu’afin de le vaincre, Gneisenau est le seul qui, dès le début, n’ait voulu voir dans la défaite de l’Empereur qu’un « moyen » d’accroître l’importance matérielle et morale de la Prusse. Déjà les lettres que je citais tout à l’heure contenaient deux petites phrases assez inquiétantes. « Nous avons tant de comptes à régler avec la France ! » insinuait