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représente encore le général prussien de l’ancienne espèce, le « soudard » formé à l’école du premier roi de Prusse. Et, pareillement, c’est encore à l’ancienne école que se rattachent la plupart des compagnons ou émules du feld-maréchal, les Yorck et les Scharnhorst, les Bülow et les Hardenberg, tels que nous les fait voir le recueil populaire. Mais, à côté d’eux, une autre figure domine le recueil et toute l’histoire de la « Délivrance » allemande d’il y a cent ans, une figure qui, celle-là, est déjà toute « moderne, » et contient en soi bien des traits que nous montreront plus tard les figures caractéristiques d’un Bernhardi ou d’un Hindenburg. Je veux parler précisément de ce Gneisenau que l’on a vu, tout à l’heure, énonçant le vœu impertinent d’une prochaine saisie, par Napoléon, du « fourgon de Champagne » de son « vénéré maître. »

Aussi bien les organisateurs de la préparation « littéraire » de la guerre présente semblent-ils avoir compris que personne autant que Gneisenau ne pouvait servir de « modèle » pour le type nouveau de chef militaire « sur-allemand » qu’il s’agissait d’imposer à l’admiration unanime du peuple : car le fait est que pas un autre des généraux de la « Délivrance » n’a été gratifié, depuis deux ans, d’autant d’éloges pompeux ou de savantes études biographiques, pour ne rien dire de la mise au jour d’une foule de lettres de Gneisenau, de notes intimes du général, de rapports ou de mémoires rédigés, sur tous sujets, par cet infatigable noircisseur de papier. Et que si, à coup sûr, rien de tout cela ne saurait parvenir à nous rendre sympathique un personnage dans l’âme duquel nous chercherions vainement la moindre trace d’une impulsion spontanée ou d’un sentiment désintéressé, il n’en reste pas moins que la révélation de ces nombreux documens relatifs à la vie publique et privée du général prussien a de quoi nous offrir, aujourd’hui, une très éminente portée instructive.


Il faut savoir d’abord que, lorsqu’à la fin de l’année 1785 le futur feld-maréchal von Gneisenau a sollicité et obtenu de Frédéric le Grand la faveur d’être admis dans l’armée prussienne, le jeune homme avait eu déjà l’occasion de renier le nom, la religion, et la patrie de ses parens. Il était né d’un obscur officier autrichien nommé Neidhardt ; et tout semble prouver que c’est sans l’ombre de droit qu’il avait substitué à ce nom familial l’appellation, plus aristocratique, de : von Gneisenau. Mais surtout, comme je l’ai dit, il s’était empressé d’oublier la pieuse et paternelle éducation catholique reçue par lui, pendant son enfance, à la fois dans la maison de ses grands-parens