Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Peut-être, seulement, les rédacteurs de ces livres patriotiques n’ont-ils pas assez pris garde à la différence de leur point de vue allemand et de celui des autres races européennes, en matière de morale aussi bien que de goût. Leurs compilations rétrospectives sont semées de documens qui, sans doute, leur auront paru « intimes » ou piquans, tandis qu’ils risquaient de choquer profondément un lecteur étranger. En veut-on quelques preuves, tirées un peu au hasard d’un recueil populaire, — et quasiment gratuit, — de pièces relatives à la « Délivrance » allemande d’il y a cent ans ?

Voici d’abord, tout de suite à l’entrée du recueil, dans une brève notice consacrée à la biographie du général prussien Yorck, le « héros de Tauroggen, » — encore que la qualification de « traître de Tauroggen » eût mieux convenu pour désigner le premier des chefs allemands de la Grande-Armée qui, en 1813, se soit retourné lâchement contre Napoléon affaibli, — voici l’histoire de la manière dont le susdit Yorck s’était vu forcé, dans sa jeunesse, de s’éloigner momentanément de l’armée prussienne :


Dès sa seconde année de service, le lieutenant Yorck a été cassé et a dû quitter l’armée, parce qu’il avait écrit d’un autre officier, dont les mains n’étaient pas restées tout à fait nettes en temps de guerre : « Cet homme a volé ! » Sur quoi Frédéric le Grand a rayé le jugement trop sévère du trop scrupuleux lieutenant, et a inscrit en marge : « Piller n’est nullement voler ! Que ce Yorck s’en aille à tous les diables ! »


Plus loin, un extrait des Mémoires du célèbre Arndt nous apprend que, depuis un siècle déjà, l’Allemagne a coutume de pratiquer l’étonnante « germanisation » de Dieu qui nous a frappés récemment dans la bouche de son chef suprême. Voici, en effet, ce que nous raconte Moritz Arndt : « Notre vieux Dieu allemand vit encore ! nous sommes-nous écriés unanimement lorsque, vers la fin d’avril 1813, l’on nous a annoncé la mort du feld-maréchal russe Koutouzof. » L’armée russe était cependant alors, comme l’on sait, en train de collaborer contre les Français avec celle des compatriotes d’Arndt : mais celui-ci redoutait que le tsar Alexandre, sous l’influence de son vénéré Koutouzof, ne mît pas assez d’ardeur à poursuivre et à écraser Napoléon. D’où ces actions de grâces au « vieux Dieu allemand, » pour avoir enlevé aux troupes prussiennes un collaborateur que l’on soupçonnait capable d’un fâcheux excès de modération ! Ou bien encore, voici un passage curieux des Souvenirs du général prussien Henkel von Donnersmarck :