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un peu de détente. Rien ne les détournera de l’ordre de préoccupations dont nous sommes tous hantés : il n’y a de ce côté rien à craindre ; mais, puisque nous avons devant nous encore de longs jours d’épreuve et puisqu’il nous faut faire provision de courage et de patience, le meilleur moyen n’est-il pas d’offrir à l’imagination quelque aliment ? Le besoin s’en fait sentir dans toutes les classes sociales et plus particulièrement dans le peuple. Pourquoi n’organiserait-on pas pour lui des représentations à bon marché ? Nous en profiterions tous. Le théâtre est devenu trop dépendant des luxueuses mises en scène ; il s’encombre et s’embarrasse de toute sorte d’accessoires inutiles qui entravent sa marche : qu’il revienne au système d’antan, qui était le bon : quatre fauteuils sous un lustre. L’hiver dernier, un petit théâtre, ayant résolument rompu avec tout l’aria de la mise en scène moderne, et remplacé les décors coûteux par une toile de fond, de sujet vague et de couleur neutre, tout Paris courut à la salle du Vieux-Colombier. Que des troupes de bonne volonté s’improvisent, qu’elles remplacent tout ce qui leur manquera par beaucoup de cordialité : je ne leur prédis pas seulement le succès, je leur donne l’assurance qu’elles nous rendront de grands services. Elles contribueront à soutenir notre moral. Et elles feront de bonne besogne littéraire. Car elles ne reprendront pas la pièce d’hier ou celle d’avant-hier, crainte qu’entre elles et nous un abîme se soit creusé. Mais elles ne se borneront pas non plus à ne jouer que des pièces héroïques. Corneille sans doute, disait récemment M. Maurice Donnay, mais pourquoi pas Molière ? il avait raison. Molière, Regnard, Beaumarchais, Emile Augier, leur œuvre est l’image, toujours vivante, de notre bon sens et de notre santé morale : pourquoi les exclure ? Il n’est que de puiser à toutes mains dans le répertoire. Raviver notre tradition littéraire, c’est encore faire œuvre de défense nationale. Car cela aussi l’ennemi l’a attaqué et menacé de destruction. Et c’est aussi pour nous conserver cette partie du patrimoine sacré que se battent nos soldats.


RENÉ DOUMIC