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Notre tradition, voilà ce qu’illustre et exalte la Fille de Roland. C’est une notion nouvelle qui est entrée dans la poésie au XIXe siècle, et dont il n’est que juste de faire honneur au romantisme. Il a eu le sens de l’histoire. Il a voulu tout savoir de notre passé. A suivre la France à travers les siècles, il s’est pris pour elle d’admiration et d’amour comme pour une personne qu’on aurait vue beaucoup souffrir. Il tenait compte de l’extérieur, il jouissait du paysage, il se plaisait à contempler les monumens. Il nous a enseigné à aimer la France pour son génie d’abord, mais aussi pour la douceur de son climat, pour la variété de ses campagnes et de ses bois, pour la hardiesse et la grâce de son architecture. Et c’est tout cela qui nous émeut dans ce drame, dernier écho d’une poésie nationale et née du sol.

Et Cyrano de Bergerac ? Je ne l’ai vu figurer que pour un acte sur l’affiche de je ne sais plus quelle matinée. D’où vient cette discrétion si peu dans les mœurs de ce garçon qui fut, dit l’histoire, bruyant et avantageux ? C’est, je crois, qu’il se sent un peu dépaysé dans l’ambiance d’aujourd’hui. Il est gai, et même comique, d’un comique copieux et truculent : l’heure n’est pas à la gaieté. Il est bavard et légèrement hâbleur : il ne laisse ignorer aucun de ses exploits et, de préférence, il en conterait un peu plus qu’il n’y en a. Nos soldats et leurs chefs sont modestes ; ils font les choses sans les dire : la plupart d’entre eux se contentent d’être des héros anonymes. Jusqu’au bout et dans la pire détresse, il est quelque chose que Cyrano a conservé intact, c’est son panache. Que viendrait-il faire dans cette guerre qui a pour caractéristique de manquer de panache ? A la guerre de manœuvres, d’assauts, de charges, nous avons laissé se substituer, et nos adversaires nous ont imposé une guerre lente, morne, traînante, amorphe, qui est éminemment une guerre ennuyeuse : on s’ennuie dans les tranchées, on s’ennuie dans les forteresses, la flotte s’ennuie comme l’armée s’ennuie. Cyrano, s’il s’ennuyait ou s’il nous ennuyait, ne serait plus Cyrano.

Tel est jusqu’ici le bilan de la vie théâtrale. Il se réduit à peu de chose. Les théâtres devront-ils en rester là ? Je ne le crois pas. On nous a déjà fait savoir que le gouvernement s’est préoccupé d’assigner à M. Albert Carré un poste qui lui permit de concilier son devoir militaire avec l’administration de la Comédie-Française. Cela semble indiquer que, tout au moins sur notre première scène, nous pouvons nous attendre à quelque reprise d’activité. Ce serait de tous points souhaitable. Il est nécessaire en effet de donner aux esprits