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dernier ouvrage naturel dont il nous reste à parler : la traversée du plateau par une vallée qui fait communiquer, malgré cette barrière, deux régions sans cela distinctes.

Ce dernier phénomène s’explique de la manière suivante : au moment où les érosions ont sculpté le relief actuel, le régime des eaux n’était généralement pas ce qu’il est aujourd’hui ; non seulement parce qu’il possédait une intensité singulièrement supérieure, mais aussi parce que la direction et le sens des courans pouvaient être transversaux ou contraires. Les mers n’étaient pas toujours exactement à la même place ; les saillies n’avaient pas pris partout la même accentuation ; les niveaux de drainage lointains formaient plans de base à des hauteurs qui n’entrent plus maintenant en jeu. On a vu alors des rivières couler vers un fleuve autre que celui auquel elles vont s’unir désormais, ou prendre et conserver une direction opposée à celle que devrait leur imposer logiquement la topographie actuelle. Ultérieurement, ce relief général s’étant modifié, diverses hypothèses ont pu se réaliser. Tantôt les eaux courantes, poursuivant fidèlement et irrationnellement leur première course, ont été amenées ainsi à se creuser un lit de plus en plus profond à travers un massif qui montait peu à peu devant leurs coups de burin ou de rabot. Ainsi la Meuse s’est trouvée traverser l’Ardenne de part en part, ou l’Aisne recouper le bastion tertiaire de l’Ile de France. Ailleurs, il y a eu divorce : l’ancienne vallée n’est plus parcourue aujourd’hui que par un cours d’eau insignifiant, ou parfois même reste asséchée. La rivière a trouvé plus simple de choisir un nouveau maître ; il y a eu capture, comme dans le cas de la Moselle qui formait autrefois le cours supérieur de la Meurthe avant d’abandonner son ancien lit entre Toul et Pagny. De telles modifications ne se sont pas produites sans combats, et souvent ces batailles des eaux, qui ont précédé celles des hommes, leur ont préparé de larges espaces propres au mouvement des armées : espaces au milieu desquels les pitons, les îles dont nous avons parlé forment encore des bastions tout prêts à recevoir des retranchemens. Le cas de Lunéville est, nous allons le voir, un des plus typiques à citer pour cette influence directe du modelé hydrographique sur l’histoire.

En résumé, voici ce que nous aurons à retenir pour expliquer tout à l’heure nos champs de bataille, et voici les grandes