Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendu en admiration ce que son fils ingrat lui avait donné de dédains. » Certes, nul n’est prophète en son pays, et je ne tiens pas à ce qu’une statue, — probablement fort laide, — vienne s’ajouter à tant d’autres. Les vrais monumens qu’on doit aux écrivains sont les belles éditions que des mains fidèles élèvent pieusement. Mais, à Grenoble, où l’enseignement scientifique eut souvent de l’éclat, la haute littérature ne fut jamais en honneur. Un professeur de la faculté des lettres a jadis reconnu, d’assez bonne grâce, cette infériorité : « La plupart des hommes célèbres du Dauphiné, écrit-il, se recommandent par ces solides qualités de l’esprit qui font les mathématiciens, l’homme à raisonnement déductif et à système, l’observateur patient, l’inventeur ingénieux. Les dons de l’esprit qui font le succès éclatant dans les lettres y sont plus rares. La puissance de l’imagination, l’éclat de l’invention verbale leur font défaut. » N’est-il pas étrange, en effet, que pas un des compatriotes de Beyle n’ait eu l’idée de puiser dans le trésor de ses manuscrits ? Ceux-ci dormiraient encore sous la poussière de la bibliothèque municipale, si des étrangers, meilleurs juges des véritables renommées, n’avaient travaillé pour Grenoble, qui ne manquera point, dans les siècles futurs, de joindre au nom de reine des Alpes celui de ville de Stendhal.


Mais peut-être pense-t-elle aussi que le pays de Bayard n’a nul besoin d’autres titres de gloire. J’achève cet article, — où je célébrais en commençant la douceur de juillet, — au milieu du fracas des armes, dans l’enthousiasme des troupes qui partent vers la frontière. Et le Dauphiné est légitimement fier que, pour peindre l’attitude noble et résolue de la France entière, le Président du Conseil n’ait pas trouvé de formule plus belle que celle de son héros : « Sans reproche et sans peur. »


GABRIEL FAURE.