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comptent guère, — j’ai compris l’amour que leur portait Stendhal, et le regret qu’il eut toute sa vie d’avoir dû se séparer d’eux. Au ministère de la Guerre, où Daru lui avait procuré une place, il regarde avec pitié les tilleuls du jardin et il ne cesse de les comparer à ceux de Claix, « qui avaient le bonheur de vivre au milieu des montagnes. » Et c’est certainement en songeant à eux qu’il a ce beau cri : « Abattre un grand arbre ! quand ce crime sera-t-il puni par le code ? »

De chaque côté de l’allée, s’étendent bosquets, prairies et vergers. C’est un ensemble tout à fait agréable de verdures et de fleurs, avec de jolies perspectives de montagnes, dont M. Arbelet, dans sa très complète thèse sur la Jeunesse de Stendhal, me semble avoir un peu exagéré le caractère sauvage. Il faut quelque complaisance pour parler de l’aspect « dramatique... formidable... surhumain » de cimes qui atteignent péniblement dix-neuf cents mètres. Les rochers du Moucherotte sont d’ailleurs en partie masqués par un ressaut de terrain, dont la molle inflexion rejoint en pente douce l’élégant plateau Saint-Ange, où l’on ne va point chercher des impressions de terreur, mais une des plus délicates flores du Dauphiné. « La solitude grandiose et la mélancolie de ce jardin de Furonières, perdu au flanc presque désert de la montagne, est enveloppé d’un horizon tragique. » Que voilà de grands mots pour cette campagne riante et ensoleillée, semée de villas et de fermes, couverte de grasses cultures, de vignes luxuriantes et de figuiers en pleine terre ! J’y ai même vu un olivier... Ce pays m’a toujours séduit par sa grâce et sa gaieté ; quand Stendhal d’ailleurs en parle à sa sœur, c’est pour lui rappeler « la charmante vue de la plaine de Claix. » Les Grenoblois, pour lesquels il est une joyeuse banlieue, y font souvent de bons repas, arrosés d’un vin qui est le meilleur de la région ; je ne crois pas qu’ils aient jamais eu l’idée de venir contempler une « toile de fond romantique » souvent animée « de reflets étranges et de gestes passionnés. »

C’est à Claix que le jeune Beyle fit sa première communion. Il y passait la plupart de ses jeudis et de ses dimanches, puis toutes les vacances, les féries comme il dit, et non les foins, comme avait lu un peu hâtivement Stryienski. Les souvenirs de ces séjours, — que gâtaient seulement les promenades où il subissait les discours de son père, — ont parfumé toute sa vie.