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Cet ensemble est bien voisin de la perfection : j’étais ravi au point de me demander comme à Naples : que pourrais-je ajouter à ceci, si j’étais le Père éternel ? J’en étais là de mes raisonnemens fous, quand le maudit gardien est venu m’adresser la parole. J’ai donné son étrenne à ce cruel homme, et je cours encore.


Ce qui me frappe, c’est combien Stendhal a été sensible au charme et au pittoresque de la montagne. Pour lui, un paysage n’est beau et complet qu’avec des montagnes. C’est un besoin de tout son être. « L’absence de montagnes et de bois me serrait le cœur. » Et ce fut l’une de ses premières désillusions en approchant de Paris. « Par malheur, il n’y a pas de hautes montagnes auprès de Paris : si le ciel eût donné à ce pays un lac et une montagne passables, la littérature française serait bien autrement pittoresque... Quel dommage qu’une fée bienfaisante ne transporte pas ici quelqu’une de ces terribles montagnes des environs de Grenoble ! »

La séduction de la montagne est faite de sensations diverses, sensations de calme et de paix, de vie saine et libre, et surtout de cette maîtrise de soi qu’exalte la solitude. Beyle a subi la fascination des cimes, aussi attirantes parfois que la mer, et cette sorte d’enivrement grave, — presque religieux, — que donne une ascension même modeste. A mesure que l’on respire un air plus léger, dominant villes et villages d’où les bruits n’arrivent qu’assourdis et comme ouatés, on oublie les bassesses de la vie quotidienne, les mesquineries, les réalités, souvent puériles. Certaines matinées surtout ont tant de fraîcheur et de pureté qu’on n’en imagine point d’autres pour les premiers jours de la naissance du monde. On se sent devenir meilleur et capable de grandes actions. Stendhal éprouva ces « momens de générosité et de supériorité, » — ce sont ses termes mêmes, — dès sa jeunesse, quand il grimpait, avec son ami Bigillion, sur la Bastille, au-dessus de Grenoble : « La vue magnifique dont on jouit de là, surtout vers Eybens, derrière lequel apparaissent les plus hautes Alpes, élevait notre âme. » Les beaux rêves montent facilement le long des pics et se perdent dans le ciel bleu. La montagne d’ailleurs, malgré ses apparences, n’est point froide et inerte. Pour ses amans, elle vit. Elle est comme ces femmes à l’air taciturne et concentré qui sont, au contraire, les plus ardentes. Les cimes dauphinoises devinrent les confidentes