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retrouve dans les Mémoires d’un Touriste : « J’aime les beaux paysages ; ils font quelquefois sur mon âme le même effet qu’un archet bien manié sur un violon sonore ; ils créent des sensations folles, ils augmentent ma joie et rendent le malheur plus supportable. » Beyle prête une âme, son âme plutôt à la nature ; c’est lui qu’il chérit en elle. Chose plus rare, il l’aima dès l’enfance. Les impressions de nature, au début de la vie, sont, en général, à fleur de peau. Ruskin est une exception qui, tout jeune, contemplant la plaine de Croydon, s’écriait que les yeux lui sortaient de la tête. Mais, presque toujours, ces impressions s’avivent avec l’âge. Que d’émotions, douces et fortes à la fois, me donnent aujourd’hui des paysages que je vis mille fois jadis, sans même en remarquer la grâce et le caractère ! Bords du Rhône, montagnes du Diois, collines brûlées de soleil de mon petit hameau de Vaugelas, à vingt ans, je ne songeais point à vous regarder. Pourquoi donc maintenant quand, parti le soir de Paris, je vous aperçois au matin, vous éveillant dans la blonde lumière du jour nouveau, des larmes roulent-elles sur mes joues ?

Beyle avait à peine sept ans quand il fit un voyage aux Echelles, à la maison de campagne de son oncle Romain Gagnon. « Ce fut, dit-il, comme un séjour dans le ciel, tout y fut ravissant pour moi. Le bruit du Guiers, torrent qui passait à deux cents pas devant les fenêtres de mon oncle, devint un son sacré pour moi, et qui sur-le-champ me transportait dans le ciel. » Il n’oublia jamais les « grands rochers » et les « immenses hêtres » où son imagination devait placer plus tard les scènes de l’Arioste et du Tasse.

A partir de ce jour, il semble que ses yeux s’ouvrent plus grands au monde extérieur. Toutes les fois qu’il en a l’occasion, il admire les horizons de Grenoble, et ceux-ci se gravent si profondément dans sa mémoire qu’il peut, de longues années après, les noter avec précision. Chez M. de Clermont-Tonnerre, commandant du Dauphiné, il regarde par les fenêtres de l’hôtel du Gouvernement et il jouit longuement d’ « une vue superbe sur les coteaux d’Eybens, une vue tranquille et belle, digne de Claude Lorrain. » A l’École centrale, dont les bâtimens se dressaient sur les remparts, il a un éblouissement en apercevant le paysage. A trois reprises, au cours de la Vie de Henri Brulard, il revient sur cette même description. Et, dans les Mémoires