Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/439

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le Jardin-de-Ville... Ces souvenirs de l’éveil amoureux de celui pour qui l’amour seul compta dans la vie, ne sont-ils pas délicieux à évoquer dans le cadre même qui les vit naître ?


Au début de la notice qui précède l’édition de Lucien Leuwen, Jean de Mitty, « desservant de la chapelle beyliste » comme il se nomme, indique trois stations où le pèlerin de Stendhal doit s’arrêter, avant d’aller fouiller, à la bibliothèque, dans ses manuscrits. Elles me semblent choisies un peu arbitrairement. Ni le château de Sassenage, ni le couvent de la Grande-Chartreuse ne tiennent à cet égard une place suffisante dans l’œuvre et la vie de Beyle, Quant à la troisième, — la chambre de l’hôtel des Trois-Dauphins où coucha Napoléon, en 1815, le soir de la rencontre de Laffrey, — elle n’a guère d’intérêt depuis qu’en fut enlevé le mobilier historique.

Bien plus intéressant est le pèlerinage à cette maison de Furonières qui, d’après son propre aveu, « joua le plus grand rôle dans son enfance. » Au verso d’une feuille du manuscrit de la Vie de Henri Brulard, j’ai lu cette note : « Idée : aller passer trois jours à Grenoble... aller seul incognito à Claix. » Ainsi donc, à cinquante ans, il a encore le désir de revoir cette propriété qui n’est plus à lui, mais où il y a tant de lui. A un voyageur, Victor Hugo dit, dans les Feuilles d’automne :


Vous avez pris des lieux et laissé de vous-même
Quelque chose en passant.


Beyle, qui fit plus que passer dans ces campagnes de Claix, y vit encore pour qui sait l’y chercher.

Dire qu’il aima et goûta la nature est aujourd’hui un lieu commun. On connaît la déclaration formelle et si curieuse qu’on lit presque au début de la Vie de Henri Brulard : « J’ai recherché avec une sensibilité exquise la vue des beaux paysages ; c’est pour cela uniquement que j’ai voyagé. Les paysages étaient comme un archet qui jouait sur mon âme ; et des aspects que personne ne citait, la ligne de rochers en approchant d’Arbois, je crois, en venant de DôIe par la grande route, sont pour moi une image sensible et évidente de l’âme de Métilde. » La comparaison avec l’archet devait plaire à son goût musical, car on la