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AU PAYS DE STENDHAL

Douceur des beaux jours de juillet, à Grenoble, que j’aime, chaque année, venir vous respirer ! Une infinie suavité emplit la ville, surtout aux fins des après-midi, quand les tilleuls en fleurs et les fameux orangers de Lesdiguières, sortis des serres aux premières chaleurs, versent leurs ondes lourdes de parfums...

Je ne sais plus quel soir, — un soir qui mourait dans une poussière d’argent, — m’étant à moitié assoupi sur un banc du Jardin-de-Ville, je crus voir Stendhal s’asseoir près de moi. A l’étonnement que je manifestai, il comprit que je l’avais reconnu et s’en montra fort touché.

— Vous ne devez pas ignorer, me dit-il, si mon œuvre vous est aussi familière que mon visage, que j’ai toujours rêvé d’être célèbre au XXe siècle : j’ai voulu m’en assurer. Et vous voyez, monsieur, un homme heureux, à qui la renommée enfin sourit. « Je n’estime, ai-je écrit, que d’être réimprimé en 1900. » Vraiment, je suis comblé. A la devanture des libraires de Paris, il n’est guère question que de moi ; on publie mes œuvres complètes ; on déchiffre mes manuscrits les plus illisibles ; critiques et professeurs me consacrent des articles et des volumes ; on soutient sur moi des thèses en Sorbonne ; je suis même devenu chef d’école, puisque le beylisme existe. En traversant le jardin du Luxembourg, j’ai vu un socle neuf où l’on doit sceller mon effigie. C’est la gloire... Alors, j’ai eu le désir de venir la savourer dans ma ville natale ; mais je vous avoue que je m’y sens un peu dépaysé. Si je n’avais reconnu les montagnes