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firent évacuer la place par les cinq cents personnes environ qui s’y trouvaient.


Alors, dit Ph. Bruchon, nous reprîmes notre travail sous les coups de crosse qui nous furent distribués par les casques à pointe, furieux d’avoir vu fustiger leurs tristes compatriotes [1].


Le 23 octobre 1870, eut lieu à Stettin l’enterrement d’un des martyrs de Bricy, Jean Marchand. « Il nous fallut, dit Fautras, pour aller prendre le corps, traverser une partie de la ville. Je ne décrirai point la manière dont nous fûmes accueillis : menacés du poing par les hommes, injuriés par les femmes, accablés de pierres par les enfans, ce trajet nous fut un véritable calvaire [2]... »

L’article 5 du règlement dont nous avons reproduit les articles 6, 7 et 8 était ainsi formulé : « Chaque soldat prussien est supérieur du soldat français, sans distinction de grade : » une pareille latitude devait être grosse de conséquences ; elles ne manquèrent pas, en effet.


Envers les prisonniers de guerre, a dit Fautras, l’orgueil prussien se traduisait de toutes les manières : chefs et soldats ne savaient quels moyens employer pour nous narguer, nous humilier, nous mépriser [3]...


Pendant le travail, qui consistait à casser des cailloux avec de grosses masses,


les nombreux gardiens qui nous entouraient ne nous épargnaient, rapporte le même témoin, ni les menaces, ni les coups... Si le soleil venait à reluire un moment, une foule empressée, parmi laquelle se trouvaient beaucoup de femmes, s’assemblait près de nous, nous envoyait ses injures les plus grossières, et riait sans pitié sur notre infortune. Quant aux coups, malheur à qui de nous relevait un instant la tête [4]...


Mais tout cela n’était que vétilles comparé au fait suivante Compris dans la capitulation de Metz, le soldat Eveno, qui avait fait les campagnes de Crimée et du Mexique, fut dirigé sur Thorn. Son récit confirme en tous points ce qui a été dit sur le transport, sur la nourriture et sur les insultes des habitans ; n’en consultons que la partie consacrée au séjour à Thorn : le

  1. Bruchon (Ph.), op. cit., pp. 110 et 111.
  2. Id. ibid., op. cit., p. 97.
  3. Id. ibid., op. cit., p. 133.
  4. Id. ibid., op. cit., p. 99.