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Formé de soldats du 32e régiment de marche capturés le 6 octobre 1870, au combat de la Burgonce, ce convoi a eu pour historien l’un d’eux, Ph. Bruchon.

Dans le grand-duché de Bade : à Carlsruhe, ce sont des clameurs, des menaces du poing, de la part des femmes des gestes dégoûtans, des cris de Franzosen caput (mort aux Français) ; à Rastadt, la foule « sut se rendre digne en tous points des énergumènes de Karlsruhe. »

De Rastadt à Cassel (Prusse), « la réception de Karlsruhe fut suivie à la lettre, dans toutes les stations où le train s’arrêtait, et les démonstrations hostiles s’accentuaient au fur et à mesure que nous avancions dans l’intérieur de l’Allemagne. »

A Berlin, où la capitulation de Metz venait d’être connue, le train marcha avec une lenteur calculée : hommes et femmes purent ainsi de leurs fenêtres insulter à qui mieux mieux les prisonniers ; le silence ne se fit que lorsque l’apparition des zouaves et des turcos fit impression sur ces braillards. Pendant le repas, « menaces, insultes, provocations, tout cela pleuvait sur nous, et, lorsque nous sortîmes pour remonter en wagon, la fureur de ces êtres féroces tourna au délire. »

A Stettin, bien qu’il fût dix heures du soir et « qu’une pluie glacée mêlée de gros flocons de neige » inondât les rues, « les habitans ne voulurent pas rester en arrière de leurs compatriotes de Berlin et d’ailleurs ; ils nous firent cortège, et la sérénade recommença. » Fort heureusement, la mine farouche des bons Turcos, qui jouissaient auprès de beaucoup d’Allemands de la réputation de « manger le monde, » tint instamment la foule à une distance respectueuse.

Les enfans, avons-nous dit, ne restèrent pas en retard sur leurs charitables parens. C’est ainsi qu’un certain jour, comme une quarantaine de prisonniers brisaient la glace dans une rue de Stettin, des garçons qui sortaient de l’école, encouragés par les surveillans, leur lancèrent des boules de neige et des morceaux de glace ; bientôt même les habitans du quartier se mirent de la partie.

Les prisonniers patientèrent jusqu’à ce que, leur sang ayant coulé, ils firent, tout en travaillant, des boules de neige dans lesquelles ils mirent des pierres : alors tout à coup, répondant par le cri de « Vive la France ! » aux cris de « Mort aux Français ! » et de « Paris caput ! », ils se portèrent en avant et