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chargée de sacs de farine, blancs de froid, tremblant la fièvre, escortés par des soldats prussiens, le fusil chargé ; un mot, et ils recevront un coup de crosse ; un geste, ce sera un coup de baïonnette ; et ce mot cependant est prononcé par les soldats de ces bataillons de Metz qui ont terrifié nos ennemis ; ce sont ces braves gens qui nous ont conservé nos épées qu’on transforme en des bêtes de somme [1]...


En dehors de ces travaux illicites imposés par la rapacité et aggravés par la brutalité allemandes, citons, à titre de contraste, mais sans insister, les travaux d’un caractère spécial que l’ingéniosité de nos soldats put réaliser, à Ulm [2], à Spandau [3]. Nous entendons parler de travaux de l’industrie parisienne, véritables petites merveilles provenant de la transformation de boutons d’uniformes en métal blanc : bagues, épingles de toutes les formes, médailles, etc., qui trouvaient de nombreux acquéreurs, comme les petits bateaux fabriqués par les marins et les sabots-bijoux des sabotiers. Ce gain permit à quelques prisonniers d’améliorer leur nourriture ou de faire face à des besoins urgens.

Nous serions incomplet si nous ne mentionnions pas les tentatives que firent les Allemands pour affaiblir physiquement et moralement les prisonniers et la façon dont ils les exploitèrent.

Dans certains dépôts, à Ingolstadt par exemple, ainsi que le capitaine Quesnay de Beaurepaire en a fourni le témoignage [4], le gouverneur donna l’autorisation de vendre des liqueurs fortes dans les casemates à nos malheureux prisonniers.


Nous étions bien pour tous ces Allemands, dit le témoin, les Français de la décadence morale et physique. Le but a été atteint autant que pouvaient le souhaiter les Prussiens et ceux qui exécutaient leurs ordres dans les États du Sud. Hâtons-nous d’ajouter que rien n’a été omis pour parler aux yeux des populations et frapper leur esprit, pas même les moyens que repousse l’humanité...


Parmi ces moyens, deux sont à signaler : — montrer des Français ivres et débraillés escortés par des soldats bavarois très corrects : voilà pour le niveau moral ; — présenter, comme

  1. Meyret (lieutenant-colonel), Souvenirs d’un prisonnier de guerre. Pp. 227 et 228.
  2. R. P. Joseph, op. cit., pp. 124 et 125. Les généraux Pritwitz et DietI s’y montrèrent bienveillans.
  3. Patorni (lieutenant), op. cit.
  4. Quesnay de Beaurepaire (capitaine), op. cit., p. 163.