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engourdis et paralysés, furent trouvés gelés, parmi leurs camarades qui les croyaient endormis.

Les Poméraniens nous disaient en ricanant : « Encore deux degrés seulement, et les Français n’auront plus besoin d’être gardés [1] !... »


D’autres exemples également probans pourraient être encore cités, mais il faut se borner.

C’est ainsi qu’un témoin, loyal entre tous, le capitaine Quesnay de Beaurepaire, a signalé la recrudescence de mauvais traitemens que provoqua à Ingolstadt, de la part des Bavarois, la nouvelle de leur défaite à Coulmiers : «...Le plus souvent, les sous-officiers de service exigeaient par cruauté ces promenades si redoutées des prisonniers » qui, à peine vêtus, avaient beaucoup à souffrir d’un froid intense [2].

A la fin de novembre, le 30, 6 000 prisonniers quittèrent Stettin pour aller occuper, à 6 kilomètres environ de là, le camp de Krekow où ils furent installés dans des tentes d’une contenance de vingt hommes environ : le froid rigoureux, les mauvais traitemens et l’insuffisance de la nourriture comme quantité et comme qualité ne tardèrent pas à provoquer chez les prisonniers une mortalité effrayante [3]. Sur l’ordre du gouvernement prussien, ils construisent des baraques en planches ; on en comptait quatre-vingts dans les premiers jours de janvier.

La mortalité diminua dès lors sensiblement ; cependant, le 8 février 1871, le thermomètre étant descendu à 25°, « sur 46 soldats français venant de Krekow à Stettin pour y chercher le pain pour la distribution du lendemain, huit furent gelés : deux moururent immédiatement et les autres les jours suivans [4]. »

L’alimentation fut déplorable, avons-nous dit.

A Stettin, dit Bruchon, les prisonniers reçurent « une espèce de bouillie grisâtre assez semblable à ce que l’on voit dans les pots des colleurs d’affiches, mais cependant bien moins épaisse et plus noire. C’était de la farine de seigle aigre et gâtée, délayée avec des balais de bouleau et où il n’y avait pas même de sel [5].... »

  1. Bruchon (Ph.) op. cit., p. 156. Pendant ces trois jours, plus de 200 prisonniers ayant les bras et les jambes gelés entrèrent à l’hôpital.
  2. Quesnay de Beaurepaire (capitaine), De Wissembourg à Ingolstadt 1870-1871), p. 216.
  3. Bruchon (Ph.), op. cit., p. 122.
  4. Fautras (Gustave), op. cit., p. 154.
  5. Bruchon (Ph.), op. cit., pp. 98, 99.