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fin de cette enquête ; parmi eux figurait l’instituteur Gustave Fautras, qui publia depuis, en 1873, un rapport émouvant sous le titre : « Cinq mois de captivité. Récit d’un prisonnier civil en Prusse. »

Partis de Bricy-le-Colombier le 11 octobre, les prisonniers furent conduits jusqu’à Nogent-l’Artaud et là embarqués à destination de Stettin.


... Ici, dit Faulras, commence pour les prisonniers de Bricy une nouvelle période de souffrances... Dans le wagon de Nogent-l’Artaud, la faim et la soif vont les accabler ; un air vicié va presque les asphyxier ; le sommeil va leur faire complètement défaut ; ils ne pourront ni s’asseoir, ni se coucher, et ils vont être privés par là d’un repos devenu des plus nécessaires ; beaucoup de vieillards à qui on ne permettra pas de descendre aux différens arrêts vont être obligés de satisfaire aux besoins de la nature dans un coin du wagon ou de salir leurs vêtemens... Tous enfin, ils vont être en butte à la férocité des soldats de Guillaume ; quelques-uns même vont souffrir un long et douloureux martyre...

La crosse et la baïonnette nous avaient poussés dans le lourd véhicule prussien ; nous étions quarante-huit, pressés les uns contre les autres, ne pouvant faire le moindre mouvement, ne pouvant ni nous asseoir, ni nous coucher. Le wagon avait servi précédemment au transport de chevaux, il se trouvait rempli de fumier ; une odeur fétide nous y suffoquait et y rendait notre présence insupportable...


Bornons-nous, pour terminer, à citer un acte criminel. Deux des prisonniers avaient donné des signes d’aliénation mentale avant l’arrivée à Francfort : Jacques Penot, de Bricy, septuagénaire, et Eugène Gigoux, d’Ingré, âgé de cinquante-cinq ans. L’un d’eux qui se débattait mordit au doigt le Prussien qui le repoussait avec la crosse.


La rage de nos gardiens fut telle alors qu’ils nous menacèrent de nous fusiller tous dans le wagon... Ne pouvant le faire, ils voulurent au moins que la punition des deux aliénés fût de la dernière rigueur.

Ils commencèrent par les dépouiller de leurs casquettes et de leurs chaussures ; puis, leur ayant attaché les pieds l’un à l’autre, leur ayant lié les mains sur le dos, et les ayant couchés sur la planche du wagon, ils les battirent avec une cruauté sans exemple : non seulement ils se servirent de la crosse et du sabre pour assouvir leur colère sur ces deux hommes sans raison, ils ne craignirent point d’employer aussi le fer de leurs baïonnettes... ou bien, dans un moment de rage, ils chargeaient leurs armes et, appuyant le canon sur la gorge de nos deux compatriotes, le doigt sur la détente, ils semblaient pendant quelques instans vouloir mettre fin à leurs souffrances...

Lorsque, le 22 octobre, à deux heures du matin, on débarqua à Stettin,